Départ :Le 31 Aout 2015, 15h30 |
Arrivée :Le 3 Septembre 2015, 15h30 |
Distance théorique :415 miles nautiques |
Distance parcourue :427 miles nautiques |
Lundi 31 Août, le départ :
Prévu vers 15 heures, heure à laquelle le vent de Nord Est était supposé s’établir, nous avons à peu près respecté notre horaire. La journée fut consacrée à préparer le bateau, refaire le plein d’eau, des lessives et quelques courses. Au passage, nous sommes allés dire un ultime au revoir à nos amis de Genesis. Cette fois-ci, c’est la bonne, eux restant en France pour remonter prochainement vers Morlaix où ils passeront l’hiver. En prévision de la traversée, nous avons dégonflé et rangé l’annexe. En effet, suspendues aux bossoirs à l’arrière du bateau, elle pourrait être arrachée par les vagues au large. Rangement complet aussi des soutes arrières, de la cuisine et des cabines pour que rien ne débarque en cas de fortes vagues. Une fois les derniers appels passés nous coupons la ligne – téléphonique. Cependant, c’est bien la ligne de départ que nous avons l’impression de couper. Est-ce le fameux canal des Sables d’Olonne, empruntés par les concurrents du Vendée Globe, le fait de quitter la France, d’effectuer notre première navigation hauturière avec le bateau ? En gros, 3 jours et 3 nuits de navigation nous attendent. À 2 équipiers, ça signifie dormir par tranches de 2 heures, tout en faisant la rentrée scolaire pour les filles. Beau programme !
Lorsque nous quittons le port des Sables d’Olonne, le vent est assez faible. Heureusement, nous devons effectuer les 25 premiers miles au bon plein (allure entre le près et le travers) afin de contourner le haut-fond de Rochebonne. Cette portion s’effectue sans encombre, sur une mer plate et avec un vent forcissant entre 12 et 15 nœuds. À la tombée de la nuit, des orages arrivent. C’est toujours impressionnant quand on est le seul objet métallique sur un horizon rigoureusement plat. On a beau se dire qu’un bateau en aluminium fait cage de Faraday et bla bla bla, une fois sur place, on croise quand même les doigts que ça ne nous tombe pas dessus. Avec les orages, le vent se renforce et nous devons réduire la toile peu avant minuit, lorsque Daphné prend son quart de nuit. Étant au travers, la voile d’avant n’est pas essentielle comme au près et nous décidons, par prudence avant la nuit, de rouler le génois. On a toujours tendance à réduire la voilure avant la nuit, histoire de ne pas avoir à faire des manœuvres de nuit pour ne pas prendre de risque et se fatiguer. On croise aussi notre premier cargo, clairement signalé sur l’AIS (système radio d’identification des navires). Notre cap étant parallèle aux vagues, le confort devient rapidement très mauvais avec le bateau qui roule franchement sur le côté à chaque vague. La taille de la houle ayant franchement augmenté, on décide de changer de cap d’environ 30 degrés pour avoir les vagues légèrement sur l’arrière. On est tous les 2 pas loin d’avoir le mal de mer, même allongés entre nos quarts. Autant dire que le repos entre les quarts n’est pas extraordinaire pendant cette première nuit. Sans compter la tension reliée à la première nuit en mer et aux nombreux pécheurs que nous croisons. Bref, nous accueillons le lever du jour avec soulagement. Éléa et Phoebé, elles, dorment toute la nuit à poings fermés dans la cabine de Phoebé. Pour la traversée, nous dormons dans celle d’Éléa, la cabine avant étant utilisée pour stocker du matériel et est en général trop inconfortable en mer.
Mardi 1er Septembre :
Au réveil, il est déclaré à l’unanimité que la rentrée scolaire serait décalée car la salle de classes….bouge trop. Éléa comme à son habitude se sent parfaitement bien. Ça n’est pas pareil pour les 3 autres! Phoebé a du mal à se sortir du lit, quant à Daphné et moi-même, nous passons la matinée à alterner sieste et navigation / vaisselle / etc. Le ciel est grand bleu aujourd’hui, le vent très léger et la houle toujours pas très bien orientée. Du coup, on n’avance pas beaucoup une grande partie de la journée et surtout pas dans la bonne direction. Phoebé passe la quasi-totalité de la journée à lire sur sa liseuse, Éléa s’occupe très fort de ses Barbies, ignorant toujours royalement le roulis et le mal de mer. En milieu d’après-midi, changement de stratégie, on se met beaucoup plus face aux vagues et au vent et le bateau retrouve un peu de vitesse. Même si on avance peu vers notre but, au moins, on se replace un peu sur notre route. La mer s’aplatissant, je décide d’essayer notre beau spinnaker pour être sur un meilleur cap vers l’Espagne. Pour la première fois, la mise en œuvre prend un peu de temps, mais après une heure d’installation et de démêlage en tous genres, la belle voile blanche et rose flotte fièrement à l’avant de Korrigan. Le système est quelque peu complexe car le bas de la voile est amuré sur un bout dehors bien en avant du bateau (exercice acrobatique pour l’attacher) et la voile est envoyée dans une «chaussette »: Le spinnaker est logé dans un grand tube de tissu que l’on hisse en tête de mât. Ensuite, via une corde sans fin, on fait glisser la chaussette vers le haut pour libérer la voile et la laisser se gonfler. Dès la voile établi, la vitesse augmente rapidement et on glisse à 6 ou 7 nœuds par une douzaine de nœuds de vent. Par mer belle et un beau soleil, cette petite séance de spi termine bien la journée. Elle se finira quand même hâtivement lorsque le cordage qui tient le point d’amure du spi sur le bout-dehors casse, cisaillé par le frottement. Qu’à cela ne tienne, dès ce soir, Daphné confectionnera des petites poulies avec des anneaux en aluminium anodisé et du cordage à haute résistance (Dyneema, fibre utilisée entre autres pour les gilets pare-balles, ayant une résistance supérieure au câble d’acier de diamètre identique). Le génois reprend sa place à l’étrave du bateau et nous soupons dans le cockpit comme on soupe sur la terrasse par une belle soirée d’été. À la demande générale, il y aura des cours du soir, les filles sont tellement excitées de commencer l’école, surtout Éléa! Pendant ce temps, j’en profite pour faire une sieste avant de prendre le premier quart de la nuit. Au début, les filles m’accompagnent pour admirer le coucher de soleil, puis la voie lactée qui se dessine progressivement, avant de laisser sa place à un beau clair de lune. Avec un vent léger, une mer calme et une nuit aussi claire, ça sera certainement plus relax que la nuit dernière. Nos quarts de 2 heures passent assez vite (les repos aussi, logiquement!), entre les tours d’horizon aux 20 minutes, vérifier la navigation sur l’ordinateur, la lecture dans le carré ou le cockpit et la contemplation, tout simplement. Cette nuit, seul un cargo sera aperçu par Daphné vers 5 ou 6 heures du matin. Phoebé se lève pour voir le soleil se lever dans notre dos. Les filles n’ont pas peur en mer, ne s’inquiètent pas de ne pas voir la terre. Je pense qu’elles se sentent tout simplement chez elle, dans leur maison. Vive la simplicité des enfants.
Mercredi 2 Septembre :
Nous avons droit à un beau lever de soleil, juste en arrière de nous. Les conditions étant franchement plus clémentes que la veille, la journée commence normalement : Café, œuf et toast au beurre de peanuts pour l’homme de quart, céréales pour les petites filles avant d’aller à l’école. L’heure de début des cours est quelque peu décalée par un envoi de spinnaker, histoire de rattraper la lenteur de la nuit dernière, en plein vent arrière, sous grand-voile seule, le génois battant trop à cette allure si il n’est pas maintenu. La voile est établie avec un cordage plus fort à son pied avec plus de facilité que la veille. On avance ainsi pendant 3 heures avant que le tout ne s’emmêle autour du bas-étai, après un petit départ au tas (bateau qui se couche vers le vent sous la pression du spi).
Récréation le temps que les professeurs aillent démêler ce grand bazar de 120 m2 sur la plage avant du bateau. La classe continue ensuite avec des révisions de l’année précédente pour Phoebé et les premiers apprentissages d’écriture et du calendrier pour Éléa. Pour Phoebé, ça n’est pas toujours des révisions étant donné qu’elle change de système scolaire. Bizarrement, tous les termes sont plus complexes dans le système français. Étonnant, non? Le vent se renforce, tant mieux, et la houle s’aligne finalement sur notre trajectoire, comme on l’attendait tant depuis notre départ. Cette allure, vent et houle dans le dos, est idéale car le bateau surfe en douceur la houle, sans gîter. Notre bateau étant particulièrement conçu pour ce type d’allure, c’est très confortable. Pour équilibrer au mieux le bateau et optimiser la vitesse, les voiles sont établies en ciseau (ou papillon pour les anglais): Le vent venant exactement de l’arrière, la grand-voile est d’un côté et le génois de l’autre, maintenu par le tangon. C’est donc sous cette allure et un ciel de plus en plus gris depuis ce matin que nous apercevons les premières côtes espagnoles. C’est bizarre, mais depuis ce matin nous avons évolué parallèlement à la limite des nuages, tout en restant sous eux, le ciel bleu, inatteignable à notre droite et bientôt derrière nous. Après 48 heures de navigation, nous avons effectué les 2/3 de notre parcours, soit environ 140 miles nautiques. Il nous reste maintenant à contourner la pointe Nord-Ouest de la péninsule ibérique. Le vent étant maintenant bien établi, nous avons confiance que notre timing sera respecté. La nuit risque d’être moins relax que la précédente, avec la grisaille, le froid, un vent plus soutenu et certainement pas mal plus de trafic sur l’eau. On s’est fait dire que la météo changeait drastiquement après le Cap Finisterre, espérons qu’ils avaient raison car notre premier contact avec la côte espagnole a des allures de Bretagne Nord, en plus dramatique: Il semble que tous les nuages se bloquent sur les Pyrénées, formant une lourde chape grise-bleutée sur le ciel de la côte avec des gros grains noirs assez impressionnants. Gros grain en avant, vent forcissant, début de la nuit, on réduit en prenant tout d’abord un ris dans la grand-voile. Tiens, on va toujours presque aussi vite. Bien qu’on soit très fiers de notre beau Korrigan (et du nouveau pilote automatique) qui porte ses voiles en ciseaux, plein vent arrière, en surfant à plus de 8 nœuds alors que nous mangeons confortablement dans le carré, on décide de calmer le jeu avant la nuit. Surtout, je n’aime pas l’idée de devoir empanner en pleine nuit avec comme prémices le démontage du tangon dans la grosse houle. On range toute la patente pour la nuit et on a encore une vitesse honorable, entre 6 et 7 nœuds.
Le début de nuit sera sous haute surveillance: Il y a beaucoup de trafic, pécheurs comme cargos. On bénit l’AIS qui nous renseigne sur le type du bateau, sa vitesse son cap et un estimé en temps et distance de notre rapprochement. Sans AIS, il faut compter exclusivement sur ses yeux pour déterminer le cap du bateau, son envergure et s’il pèche uniquement en observant ses feux. Pas évident et surtout. Il faut que le suspect soit suffisamment proche car la nuit sur la mer toutes les lumières semblent ocres. On double un à un les nombreux caps qui jalonnent la côte Nord espagnole, en synchronisant les empannages avec les changements de quarts. Par moment, la lune nous accompagne, le froid et l’humidité, eux, sont toujours au rendez-vous. Au lever du soleil, nous abordons le Cabo Villano, qui porte bien son nom. Un cap immense surmonté d’une tour et d’une croix, cerné de récifs, le tout noyé dans des gros nuages noirs et bas. Ambiance. On est en Espagne, mais ce n’est pas Ibiza ! Contrairement à ce que j’aurai pensé, la prophétie se réalisa: en passant le cap, nous nous en éloignons un peu vers le large pour empanner et là, le soleil sort, les nuages se dissipent. Même les dauphins sont là pour m’encourager à empanner seul. Ensuite, c’est du grand bonheur, les petites filles sautent du lit pour venir voir les dauphins et la matinée se continue en surfant sur une belle grosse houle dans un bon 20 nœuds, sous le soleil. Un très beau moment de mer. Nous passons devant l’impressionnant Cap Finisterre et bientôt nous devons serrer le vent pour rentrer dans la Ria de Muros. Le vent continuant à monter, nous prenons 2 ris dans la grand-voile et remplaçons le génois par la trinquette. Toute la garde-robe y sera passée. Nous voilà finalement au près sous 30 nœuds pour arriver. Le soleil est bien présent, mais le vent est vraiment froid. L’arrivée, au ras de la côte pour éviter des haut-fond est superbe. C’est un moment très spécial de découvrir un pays ou une région inconnue en arrivant de la mer. On guette les premières maisons, on salive devant les belles plages de sable très clair. Le village de Muros est très bien dissimulé derrière un cap et est complètement invisible en venant du large. Le vent étant dans le nez, (très) fort et rafaleux, on finira au moteur. C’est le seul reproche que l’on fait au bateau: Au près serré, c’est nul de chez nul. Le contraire de nos bateaux précédents. Au moins, avec l’heure de moteur que nous faisons, on aura de la bonne eau chaude pour se doucher! Les rafales étant encore pas mal fortes en arrivant devant le village de Muros, on se cache le long de la côte pour jeter notre ancre et y passer la nuit. On se rapprochera peut-être demain pour aller en ville mais pour le moment, on pense surtout à se doucher, ranger le bateau et surtout déboucher une bonne bière bien fraîche pour célébrer notre première traversée,
En conclusion
Nous sommes bien fiers de nous. Ce que nous avons le plus apprécié: Pour les filles, ce sont les étoiles la nuit, les dauphins et le lever de soleil. Pour Daphné, le lever de lune et la belle soirée du mardi soir. Pour moi, un peu de tout ça et la dernière navigation au portant, dans la belle houle. À l’unanimité, personne n’a aimé la première nuit avec le gros roulis. Daphné et moi-même avons apprécié la navigation de nuit et nos quarts mais, évidemment, avons trouvé ça très fatigant. En particulier, c’est difficile de se reposer en devant s’occuper des enfants le jour. En tout cas, il y a beaucoup d’enseignements dans cette première traversée pour pouvoir pleinement apprécier la prochaine traversée de Lisbonne à Madère d’ici la fin du mois et qui sera un peu plus longue (520 miles nautiques).
Toujours super de lire tant de détails et j’anticipe : vais rajouter une étagère à ma bibliothèque de La Buse pour y serrer l’Encyclopédie Korrigan dans 5 ans… Cela procurera de belles lectures l’hiver au coin du foyer.
Bravo pour cette 1ère vraie traversée hors de vue des côtes, sommes conscients de vos bonheurs et fatigue. Un beau panaché sur fond de petites filles heureuses et si faciles à vivre. La perfection familiale à bord cela existe. Les photos sont toujours très belles, mêmes Los Muros sont sympas dans le contexte : ouf ! Bien arrivés.
On vous aime, à bientôt, bises à partager… les mononcle et matante du Québec
Merci Caline de tes bons commentaires et encouragements. Même si j’aime beaucoup écrire et photographier, c’est beaucoup de travail….surtout quand on a pris du retard au début. Maintenant, je tiens un meilleur rythme vu que le bricolage et les réparations sont passées en second plan. Bises à tous les 2, Olivier.
Très joli récit de navigation.
Merci
Vincent D.
Wow, on sent avec cette 1ère traversée au large que les choses deviennent plus sérieuses.
Profitez bien de l’Espagne et du Portugal!
Toujours un plaisir de vous lire ! au passage j’adorerais voir une vidéo d’une sortie de spi si vous avez l’occasion 🙂
Très bonne suggestion, on va préparer ca!
Bravo pour tous ces commentaires, on a l’impression de vivre la traversée avec vous .
Phoebe et Eléa jouent comme si elles étaient dans leur chambre .
Félicitations à tous les deux pour cette première traversée.
On vous embrasse
Bien d’accord avec Caline. Très bien écrit, donne vraiment l’impression d’y être.
Bravo et je suis impatient de voir la suite.
Bisous,
Bert
Bravo pour votre premiere traversee.
Merci de nous permettre de voyager de cette maniere.
Bises
Le récit de vos aventures est très poignant .
Nous avons ainsi partagé un moment de la vie de la petite famille.
Toute cette technicité dissipe notre anxiété liée à notre ignorance des choses de la mer.
On vous embrasse bien affectueusement
Merci ! En effet, le bateau et la mer, comme le reste, fait peur quand on le méconnaît. Ensuite, avec un peu de sérieux et la prudence d’un bon père de famille, ça n’est que du bonheur. On vous embrasse tous les 2.