Samedi 31 Octobre
Les prévisions météo de la veille sont inchangées et confirment notre départ. Certes, le vent semble un peu moins soutenu que ce que montraient les fichiers il y a 3 jours, mais nous devrions toujours trouver au moins 15 nœuds sur notre route, sachant que ce type de prévisions sous-estime toujours d’au moins 15-20% la force du vent. Cependant, comme c’est souvent le cas aux Canaries depuis que nous sommes sur Fuerteventura, le vent ne semble pas vouloir se lever avant la mi-journée. Tant mieux, ça nous donnera le temps de finir de nous préparer.
Dès le réveil, nous nous affairons à réparer (encore!) le fond du dinghy avant de le plier, remonter le débitmètre du dessalinisateur, assécher à nouveau toutes nos cales (nous sommes toujours à la recherche d’une mystérieuse entrée d’eau de mer….) et ranger le bateau dans sa configuration « traversée ». Pendant ce temps, nous faisons griller nos sardines sur le barbecue, initialement prévues pour hier soir. C’est Halloween, on peut faire des trucs bizarres comme griller des sardines à 9 h du matin! Pendant la matinée, le ciel se voile de gros nuages gris et bientôt la pluie s’invite. Les filles participent aussi aux préparatifs en s’occupant de la vaisselle, du ménage et, surtout, de se laver à l’arrière du bateau car la prochaine douche ne sera pas avant dans presque une semaine! Comme il n’y a pas d’eau sur les pontons dans ce petit port, on se lave dans l’eau de mer et on se rince à la douche solaire. Nous sommes prêts à quitter vers midi, au moment même où notre voisin décide finalement d’arrêter son groupe électrogène qu’il a fait tourner depuis son réveil ce matin! Très agréable…. Le vent n’est pas très fort dans le port (on s’inquiète presque de ne quasiment pas en ressentir d’ailleurs), ce qui facilite grandement notre manœuvre de départ. Le départ sera beaucoup plus serein que notre arrivée! D’ailleurs, après avoir parlé à des Français arrivés un peu plus tôt que nous jeudi, ils se sont fait peur en se faisant pousser dans ce petit cul-de-sac par 20 nœuds de vent et le voilier qui était avec eux n’est finalement pas resté après avoir touché le fond avec sa quille et s’être fait pousser par une violente rafale sur le quai voisin. Finalement, on ne s’en était pas si mal tirés….
Dès que nous quittons le port, toujours sous la pluie, le vent s’établit peu à peu, ainsi que la houle. À 12h45, nous hissons les voiles et sommes sur notre route vers le Cap-Vert, ça sera donc notre heure de référence pendant la traversée. Nous passons la première heure à essayer de trouver la bonne configuration de voiles : Le vent étant un peu trop faible pour bien avancer avec grand-voile et génois, nous nous décidons finalement à mettre le spinnaker. Le temps de tout mettre en place, le vent oscille maintenant entre 16 et 20 nœuds. Trop pour mettre le spi, on le redescend et continuons sous grand-voile seule. À ce moment, nous avons notre première touche sur la canne à pêche. Nous remontons un poisson très joli mais a priori pas comestible : Ce beau poisson orné d’une ligne bleu électrique a le ventre mou et se gonfle : Il ne faut a priori manger sous aucun prétexte un poisson qui se gonfle, ceux-ci pouvant être hautement toxiques. On le rejette à l’eau aussitôt. Au moins, il nous aura permis de temporiser nos manœuvres de voile car le vent s’est sérieusement levé et nous avançons très bien sous grand-voile seule, presque au vent arrière. Au fur et à mesure que nous progressons vers Gran Canaria, le vent monte et nous subissons une houle croisée venant de notre arrière et surtout une houle d’Ouest très forte canalisée entre les îles de Fuerteventura et Gran Canaria. C’est très inconfortable et les médicaments pour le mal de mer sont rapidement appelés en renfort! Nous essayons d’adopter une allure pour recevoir le plus possible sur l’arrière cette forte houle qui atteint facilement 2.5 ou 3 mètres. Nous avançons à plus de 7 nœuds et le vent monte toujours. Nous prenons un ris et le vent s’établit à 25-30 nœuds. Avec la houle, nos surfs atteignent facilement 8.5 nœuds, parfois même jusqu’à 10 nœuds! En début de soirée, le vent semble toujours monter et nous sommes prêts à prendre un deuxième ris lorsque ça se calme un peu. Heureusement, car à ce moment, nous sommes preneurs de tout ce qui pourrait augmenter notre confort! Même Éléa n’est pas à son mieux et la pauvre s’endort dans son beau costume de princesse qu’elle avait enfilé pour la soirée d’Halloween! Heureusement, Daphné sauvera leur soirée d’Halloween en se déguisant en sorcière et en s’enfermant dans une cabine arrière. Elle tambourine sur la porte et ricane à glacer le sang…Éléa y croit vraiment et est terrorisée! Tout le monde ira finalement chercher son petit sac de bonbons auprès de la sorcière….Le repas est préparé au terme de bien des acrobaties et nous mangeons, assez rapidement, dans le cockpit à la lumière de la lampe frontale, avant que les 3 filles regagnent leur couchette, seul endroit où elles semblent en mesure de supporter les mouvements du bateau qui roule sauvagement lorsque certains trains de houle arrivent franchement du travers. Il faut dire que le froid (relatif certes…) et la pluie ne donnent pas envie de sortir de sa couette car par vent arrière, la pluie et le froid entre facilement dans le bateau. Je commence donc le premier quart vers 19h30. Les conditions ne feront que s’améliorer pendant les prochaines heures : Le vent se stabilise à 20-25 nœuds, nous garantissant une belle vitesse et la houle s’oriente progressivement sur l’arrière au fur et à mesure que nous nous éloignons des îles canariennes. Je reste de quart jusqu’à 23 heures, en alternant petits sommes de 20 minutes, navigation sur l’ordi…et grignotage de friandises d’Halloween. Vers la fin de mon quart, nous commençons à croiser des cargos qui longent les côtes africaines. Nos trajectoires respectives rendent ses croisements peu problématiques. Une fois de plus heureusement qu’il y a l’AIS car la nuit est très sombre et la forte houle ne permet pas de voir les cargos longtemps à l’avance. Nous ajustons régulièrement notre allure pour trouver le meilleur compromis entre la ligne droite vers notre objectif et un angle acceptable vis à vis des vagues. À son tour, Daphné prend son quart pour les 4 prochaines heures. Ce rythme nous convient mieux tant qu’il est assorti de petits sommes. Pendant son quart, le vent a faibli, le ciel s’est dégagé partiellement et la houle a molli. Par contre, le vent a continué à tourner et nous écarte un peu trop de notre route. Nous profitons donc du changement de quart pour empanner. Au moins, après une manœuvre comme ça, je suis sûr d’être réveillé! Pendant la première heure de mon quart, je galère à redonner de la vitesse au bateau. Comme nous nous interdisons de faire les manœuvres seul sur le pont avant la nuit (en particulier avec de la mer formée), je me contente de larguer le ris pour redonner de la vitesse au bateau. Après quelques tâtonnements, ça fonctionne en remontant un peu plus au vent qu’il ne faudrait et nous renouons avec des vitesses en haut de 6 nœuds, notre objectif minimal pour la moyenne sur le trajet. Cette fois-ci, je m’autorise des siestes de 30 minutes et je continue ainsi pendant 5 heures, jusqu’à 8 heures du matin. Après avoir pris mon bol de céréales dans le cockpit devant le soleil qui se lève, je vais réveiller ma belle qui dort à poings fermés pour, à mon tour, me glisser sous la couette (préchauffée!).
Dimanche 1er Novembre
Éléa se réveille à 9 heures, en pleine forme, comme d’habitude. Sa grande sœur aura pas mal plus de mal à émerger. Il faut dire que la pauvre est toujours sujette au mal de mer. Rien de terrible, mais mal à la tête et un manque d’énergie notoire. Heureusement qu’elle adore lire car la position couchée est la seule qui lui convient sur le long terme. J’arrive cependant à la sortir de sa couchette en fin de matinée pour qu’elle vienne au moins au soleil dehors. Le grand air lui donne de l’appétit et elle peut au moins manger un bol de céréales (Éléa, elle, a englouti tartines après tartines à l’intérieur dès son réveil!). Vers 11 heures, nous installons le génois en ciseau (tangonné sur l’autre amure) et continuons notre route plein vent arrière sur une trajectoire proche de la ligne droite vers le Cap-Vert. Daphné est encore un peu en vrac ce matin. Il faut dire que c’est une entrée en matière assez solide après 2 semaines de mouillage, de port et de navigation côtière sur eau plate. Le temps passe finalement assez vite entre les petites corvées quotidiennes (vaisselle, inspection des cales, du gréement, navigation) et la mise en place d’une deuxième ligne de pèche. Hier, après notre prise bizarroïde, nous avons eu une autre touche. Malheureusement, le poisson s’est décroché pendant la longue remontée. Pendant l’après-midi, nous avons une nouvelle fois la même mésaventure : Cette fois-ci, la ligne s’était déroulée entièrement. C’est donc 500 mètres de fil que nous devons rembobiner : La bête tire fort et à 2, nous n’arrivons à mouliner que pendant les décélérations du bateau entre 2 surfs. Quelle déception de ne rien avoir au bout après trois quarts d’heure d’effort! Au moins, nous avons des touches, c’est encourageant. Autre déception aujourd’hui : l’Iridium. Depuis notre départ, je n’arrive pas à obtenir une connexion. En me penchant sur le problème aujourd’hui, j’en ai trouvé la cause en voyant un message « Access denied » s’afficher brièvement : Les andouilles de Canada Satellite, le fournisseur de la carte a désactivé la carte au lieu d’attendre la fin du mois (Nous utilisions jusqu’à présent une carte mensuelle à des fins de tests). C’est ennuyeux car nous ne pourrons avoir de mise à jour météo ni donner des nouvelles à la famille tel qu’on l’avait promis. Certes, cette compagnie albertaine offrait les meilleurs tarifs mais leur niveau de service est désastreux : Il faut au moins 3 semaines pour répondre à une question par email, et encore lorsqu’on relance et menace. Pas fort… Sur une note plus positive, aujourd’hui, les conditions de mer et de vie à bord se sont nettement améliorées : la houle est à peu près en arrière, le vent plus léger et le temps beau et sec permettent de passer du temps dehors. Pendant la journée, Daphné continue ses petits bricolages en prévision de Noël, Phoebé finit de dévorer le deuxième tome d’Harry Potter et Éléa épuise toutes les possibilités de jeux sur IPad et sa Nintendo DS. Le soir, avant de s’endormir, Éléa viendra passer une bonne demi-heure avec moi dehors pour regarder les étoiles. Elle ne tarit pas de questions à propos des étoiles, de l’espace, des fusées. C’est mignon. Nous savons que le vent doit faiblir ce soir et rester plus faible pour au moins 24 heures. Par conséquent, pour conserver de la vitesse, nous quittons l’allure de vent arrière et lofons pour générer plus de vent vitesse. Le réglage est délicat par vent faible car le génois à fortement tendance à battre, en étant déventé par la grand-voile. On tient cependant cette allure jusqu’à 3 heures ou 4 heures du matin, malgré une vitesse de progression faiblissant d’heure en heure. Au milieu de la nuit, le vent faiblit franchement tout en tournant dans la direction opposée à celle qui nous intéresse. De guerre lasse, fatigué par le claquement des voiles, j’enroule le génois, perd encore un peu de vitesse au passage mais ça repose le gréement (et les nerfs du capitaine..). Je me remets alors un peu plus sur notre route et j’en profite pour me reposer, toujours par tranches de 30 minutes. Au lever du soleil, nous mettrons le spinnaker car les 12 nœuds de vent que nous avons sont idéaux pour bien avancer avec cette grande voile. Côté pèche, Daphné a eu 2 touches cette nuit mais encore une fois, les poissons se sont décrochés, un laissant au passage un long morceau de peau et un peu de chair. Il faut qu’on trouve la technique pour les remonter car ça devient frustrant. Il faut dire aussi que ça n’est pas toujours évident de ralentir le bateau sous voiles….
Lundi 2 Novembre
Le ciel est toujours aussi clair ce matin et se remplit de rose et d’orange au lever du soleil. Une fois ce moment de béatitude passé, je m’affaire à préparer le spi et je vais réveiller Daphné pour l’établir. Vers 8h, le spi est établi et nous renouons rapidement avec des vitesses satisfaisantes, c’est à dire au-dessus de 6.5 nœuds. Nous mettons par contre un petit moment à régler le tout car le bateau à tendance à lofer très fort dans les surfs et sous la pression des 120 m2 de voile supplémentaire. Une fois la manœuvre finie, je vais me préparer mon déjeuner. Et là, surprise! Que vois-je à travers le hublot de la cuisine? Un bateau de pêche, à quelques centaines de mètres de nous. Drôle d’impression quand on est en pleine mer. Il nous voit a priori à peu près au même moment car il se déplace et continue à chaluter plus loin. Ce matin, Phoebé se sent beaucoup mieux que les jours précédents. A priori, comme pour les traversées précédentes, ça lui prend 3 jours pour s’habituer. Il n’y a rien d’étonnant à cela. Tout le monde déjeune donc dans le cockpit à une heure normale, sous un beau soleil… avant d’entamer la semaine. En effet, nous sommes lundi, il y a école ! Nous faisons donc l’école dehors tout en gardant un œil sur le cap du bateau et le spi. Avec cette bonne vitesse, nous devrions récupérer assez vite le «retard » pris cette nuit. Pendant la matinée, nous croisons encore de nombreux cargos. On devrait désormais en voir moins car notre route s’en va vers l’Ouest pour aller vers le Cap Vert, alors que les routes maritimes continuent à longer les côtes africaines, droit vers le Sud. Nous nous faisons également dépasser par un voilier : Sur l’AIS, celui-ci affiche une vitesse un peu vexante qui dépasse les 10 nœuds. Lorsque toutes les informations s’affichent sur l’AIS, on voit les dimensions du bateau : 7 mètres par 3….Il ne peut s’agir que d’un mini 6.50, petit bateau de course océanique à la voilure surdimensionnée. Ils sont repartis quasiment en même temps que nous des Canaries. Il doit s’agir d’un retardataire….Pendant le lunch, autre type de rencontre : des dauphins viennent nous rendre visite et jouent pendant une bonne vingtaine de minutes autour de l’étrave du bateau. Les filles sont ravies! Seule ombre au tableau de la journée : Nos batteries affichent un niveau assez bas et peinent à se recharger. En effet, depuis notre départ, nous avons manqué soit de soleil, soit de vent (car souvent au vent arrière) pour que les panneaux et l’éolienne accomplissent correctement leur tâche. De surcroît, comme nous avançons vers le Sud, le soleil est caché par les voiles pendant toute l’après-midi. La navigation au portant dans la grosse houle, puis maintenant le spi qui est très costaud à tenir ont aussi fortement sollicité le pilote automatique qui consomme beaucoup d’énergie. Comme nous devons faire de l’eau douce avant notre arrivée au Cap Vert, nous en profiterons en fin de journée pour recharger les batteries. Jusqu’à présent, nous avions toujours eu de l’énergie à revendre alors nous ne nous sommes pas méfiés. Il faut aussi apprendre à ce niveau, peut être en réglant mieux notre allure afin que le pilote consomme moins. En parlant d’énergie, Phoebé en regagne avec les conditions plus calmes dont nous bénéficions et en profite pour jouer de la guitare et de la flûte, en prévision de son traditionnel spectacle de Noël. En fin d’après-midi, le vent forcit et nous descendons le spi. Comme le vent continue de monter, nous conservons la même vitesse avec juste la grand-voile. Le soir, après le repas, nous démarrons le moteur pour faire de l’électricité et de l’eau. Malheureusement, je me rends compte que la poulie de la pompe du dessalinisateur, entraîné par le moteur, frotte sur la poulie du moteur lorsqu’elle est embrayée dans un beau feu d’artifice d’étincelles. On remet donc le projet de faire de l’eau à plus tard, il faudra que je revois au mouillage la fixation de la pompe car elle a dû bouger. Après une heure de moteur, les batteries retrouvent un niveau convenable qui nous permettra de passer la nuit, surtout qu’avec le vent plus fort dont nous bénéficions maintenant, l’éolienne commence à être efficace. La nuit est assez calme, à part un autre mini 6.50 qui nous croise assez près. Nous ne verrons que 2 ou 3 cargos sur l’AIS, au loin. Comme le bateau va vite et est stable, on peut se reposer en faisant des siestes pendant nos quarts. Cette nuit, il y a beaucoup de plancton phosphorescent qui ne fait pas juste des petites étincelles de lumière, mais de gros flashs lumineux au passage du bateau ou sur les crêtes des vagues.
Mardi 3 Novembre :
En même temps que le soleil se lève, le ciel commence à se voiler. Cela finit à me décider de terminer l’installation de notre hydrogénérateur, sorte d’hélice que l’on traîne derrière le bateau et qui produit de l’électricité. Comme ce système freine le bateau et nécessite une mise en œuvre, contrairement aux panneaux solaires ou à l’éolienne, nous l’avions mis de côté tant que notre production d’énergie était suffisante. Aujourd’hui, on constate que le pilote consomme beaucoup avec la forte houle et le panneau solaire ne peut pas combler cette demande quand le soleil vient à manquer. Une fois le déjeuner avalé, je vide donc la soute arrière dans le cockpit et finit les branchements électriques, plié en 4 dans la soute et pas mal balloté par la houle qui est devenue très forte après une nuit complète de vent fort. Le confort s’en ressent un peu à bord ce matin et Phoebé doit à nouveau recourir aux médicaments contre le mal de mer. Malgré tout, la séance d’école a lieu aujourd’hui, le matin pour Éléa, alors qu’elle s’étire sur l’après-midi pour Phoebé qui préférait diluer l’école et faire son cours de mathématiques plus tard. Comme tous les jours à 12h45 (heure à laquelle nous sommes partis de Lanzarote), on fait les comptes de la distance parcourue dans les dernières 24 heures. Nous avons battu notre record, avec 157 miles parcourus. De plus, ce matin vers 8 heures, nous avons atteint la mi-parcours, cap psychologique important ! Si le vent ne nous abandonne pas, nous devrions arriver dans la nuit de jeudi à vendredi. Côté pèche, c’est toujours le calme plat suite à la perte de notre appât pendant la nuit. De plus, comme l’hydrogénérateur a remplacé la canne à pêche à l’arrière du bateau, ça n’est pas ce soir que nous mangerons du poisson…À partir de la mi-journée, la mer devient beaucoup moins organisée avec des vagues arrivant dans deux directions avec le vent qui vire au nord, ce qui rend le bateau assez rouleur, c’est beaucoup moins agréable que la veille et le bateau ralentit un peu aussi. Espérons que la houle s’organise un peu mieux pour cette nuit…En attendant, nous passons la fin de l’après-midi à jouer aux cartes, tous ensemble. Finalement, en traversée, chacun s’occupe pas mal dans son coin, à l’exception des enfants qui jouent ensemble une partie du temps lorsque Phoebé ne lit pas. Peu avant la tombée de la nuit, un grognement sinistre se fait entendre du côté de l’hydrogénérateur : Celui-ci, sous les vibrations de la corde complètement vrillée (il s’agit normalement d’un cordage anti-torsion, mais je ne pense pas que celui dont nous avons hérité le soit…), il s’est à moitié décroché et la connexion électrique est à moitié arrachée. Ça n’aura pas duré longtemps ! Il reste à sortir la turbine de l’eau, pas évident à mains nues lorsque ça tourne à environ 200 tours/minute! Je m’arme de gants et de courage et j’arrive à la sortir lorsque le bateau décélère en haut des vagues. Place au repas maintenant. Ce soir, nous nous faisons un « butter chicken » (ou butter tofu selon les goûts de chacun), une de nos recettes indiennes favorites. Tout un exercice d’adresse devant les fourneaux vu comment ça remue! Pendant mon premier quart, je m’emploie à démonter l’hydrogénérateur, je refais les connexions et au passage, graisse le tout. Le vent qui remonte à 25 nœuds environ nous confère une bonne allure et peu de choses à faire pendant les quarts. La nuit sera donc assez calme, avec seulement 2 cargos croisés et encore un mini 6.50, un retardataire…. Par contre, la malchance veut que le deuxième cargo soit exactement sur une route de collision avec nous, ce qui oblige Daphné à s’écarter assez longuement de notre route pour laisser une distance raisonnable. Pour nous divertir, des poissons volants viennent atterrir sur le pont ou dans le cockpit. Certains, à force de se débattre, arrive à repartir seuls à la mer, non sans laisser quelques écailles sur le pont. Autre source de divertissement, le feu d’artifice de planctons luminescent. Une fois encore, outre les mini-planctons phosphorescents qui illumine la vague d’étrave du bateau où les crêtes des vagues qui déferlent, il y a une quantité incroyable de gros planctons qui font des éclairs lumineux très puissants, comme des flashs d’appareil photo, sous l’eau. Leur éclat est tel que je n’arrive pas à distinguer le feu de navigation d’un bateau que nous croisons à quelques miles! Nous allongeons encore un peu les durées des quarts, à environ 4 ou 5 heures. Ce rythme nous permet de bien dormir pendant plusieurs heures et compléter la dose de sommeil par des siestes d’une demi-heure, qui avec l’habitude, sont de plus en plus réparatrices. Ou alors, on commence à s’habituer à être fatigué!
Mercredi 4 Novembre :
Aujourd’hui, il fait pas mal gris. On a à peine vu le soleil se lever derrière un voile de nuages qui apportent leur lot d’humidité. Le vent a baissé, la mer a diminué, ça ne bouge pas trop ce matin. Avec une température de 30 degrés dans le bateau, l’ambiance est très poisseuse. Après le déjeuner, nous réinstallons l’hydrogénérateur en le fixant beaucoup plus solidement au bastingage arrière du bateau pour éviter les énormes vibrations de la veille. On est très contents du résultat, car, bien fixé, il vibre beaucoup moins. De plus, en l’ayant fixé plus bas, la turbine sort beaucoup moins de l’eau. L’ampèremètre monte rapidement, nous sommes bien contents, un problème de moins! Malheureusement, ce répit sera de courte durée : Pendant l’école, ayant toujours une oreille aux aguets, je m’aperçois que je n’entends plus le vrombissement de l’hydrogénérateur. Je sors et j’en ai la confirmation : La corde et la turbine ont disparu dans les profondeurs de l’océan après que la manille se soit ouverte, sous les vibrations. Je suis profondément écœuré et déçu de moi-même qui n’ai pas eu la présence d’esprit d’assurer la manille avec fil de fer, comme on le fait, par exemple, pour les ancres. Le moral est dans les chaussettes. À court terme, cela signifie que nous devrons avoir encore recours au moteur pour remonte le niveau de nos batteries et à moyen terme des dépenses additionnelles, si nous arrivons à nous procurer les pièces perdues. La mort dans l’âme, je range le tout alors que Daphné remet la ligne à l’eau. Malheureusement, la seule chose que nous arriverons à faire, c’est perdre nos derniers appâts, après avoir eu 2 touches. Visiblement, nous devrons augmenter le calibre du fil de nos bas de lignes : Celles-ci reviennent sectionnées nettes. Pendant la journée, les bancs, ou plutôt les vols de poissons-volants se succèdent sans cesse. Par contre, il semble que le jour, ils arrivent à nous éviter….Le midi, pendant que nous prenons notre lunch dans le cockpit, nous aurons droit à une visite pour le moins exceptionnelle : Une énorme baleine fait surface à moins de dix mètres sur le côté arrière du bateau. Daphné pousse un cri en l’apercevant et nous voyons tous l’eau se fendre pour laisser apparaître cette immense masse brune, d’environ 20 mètres qui crache un gros jet d’eau et replonge. Nous sommes stupéfaits. Nous ne la reverrons plus. La baleine est venue nous « checker », voilà tout. Nous ne sommes pas prêts d’oublier cela! Je passe le reste de la journée à bricoler : Fabrication de boutons de serre-casseroles avec les moyens du bord (boulons, grosses rondelles et mastic epoxy). Le résultat est très satisfaisant et me redonne un peu de moral après la mésaventure du matin. Ensuite, malgré la houle qui s’installe assez fortement dans l’après-midi, je mets le nez dans le compartiment moteur pour essayer de régler le problème du dessalinisateur. L’installation est complexe, difficilement accessible. N’étant pas complètement sûr de la solution que je trouve, je remets à plus tard les tests : En effet, la mise en route du dessalinisateur nécessite de le rincer ensuite, ce qui consomme une quantité d’eau douce non négligeable. Je préfère donc revoir cela au calme lorsque nous serons arrivés au Cap Vert. Les filles jouent aux Barbies pendant toute la journée, à l’exception de la durée des cours d’école! Éléa est inlassable. Daphné leur fabrique alors un accessoire supplémentaire au crochet, un sac de couchage pour le bébé. Éléa exulte! Le vent est beaucoup plus calme aujourd’hui et nous avons remis le génois, tangonné sur le bord opposé à la grand-voile pour descendre vent arrière. Nous conservons ainsi une vitesse décente. Nous reviendrons sous grand-voile seule vers minuit, à la fin de mon quart. C’est drôle à dire, mais cette journée aura été riche en évènements, entre les pluies de poissons volants qui ont recommencé le soir, la baleine, etc. Il faut dire que lorsqu’on est seuls au milieu de l’océan, il en faut peu pour animer le quotidien! Nous constatons tous que nous nous acclimatons bien à la vie en mer, supportant de mieux en mieux les conditions inconfortables que nous rencontrons parfois, y compris Phoebé. Ça commence à sentir l’arrivée avec moins de 200 miles à parcourir vers 18 heures, autre événement qui mérite célébration avec un bon apéro dans le cockpit. Il nous reste, a priori, 2 nuits et une journée en mer avant d’atteindre notre destination, l’île de Sal.
Jeudi 5 Novembre :
La nuit a été très calme. Daphné a fait un très long quart, de plus de 5 heures, me laissant un bon repos entre minuit et 5h30 du matin. Le vent a progressivement repris de la vigueur pendant la nuit et au matin, il y a un bon 25 nœuds de vent et une houle qui a beaucoup grossit. Celle-ci sera grosse toute la journée. Le problème n’est pas sa taille, car sur une mer organisée, par vent et mer arrière, le bateau est très confortable. Le problème, c’est que nous avons des vagues croisées et une houle secondaire, d’une autre fréquence, venant d’une autre direction. Dans ces conditions, le bateau alterne belles glissades sur la grosse houle arrière qui se lève toute droite en arrière de l’arceau avec des enchaînements de roulis particulièrement pénible quand des vagues sournoises viennent nous prendre de côté. Au final, le bateau est en proie quasi-constante avec une légère oscillation latérale qui est très désagréable à la longue. Malgré tout, l’école a lieu : Il faut dire que les filles sont motivées par la promesse d’une semaine ou deux de vacances à partir de la semaine prochaine. Éléa fait de magnifiques pages d’écriture et récite avec bonne humeur ses comptines. C’est très mignon. Phoebé s’applique beaucoup depuis plusieurs jours alors le calcul mental et les conjugaisons ne sont plus sources de conflits avec ses professeurs. À la vitesse à laquelle nous avançons, nous devrions arriver vers la fin de la nuit dans la baie de Palmeira sur la côte Ouest de l’île de Sal. C’est le port d’entrée de l’île où nous devrons faire nos démarches d’entrée sur le territoire. Pour le moment, vues les conditions de mer, hors de question de ralentir le bateau, qui navigue déjà que sous grand-voile seule à un ris. Nous nous ferions balloter encore plus. Nous continuons donc ainsi et nous aviserons lorsque nous serons à l’entrée de la baie. Au pire, nous ferons des ronds dans l’eau pendant quelques heures en attendant le lever du soleil si nous n’estimons pas que nous pouvons y rentrer de façon sécuritaire en pleine nuit. Il faut dire que la lune se lève maintenant qu’en fin de nuit et éclaire très peu. Il nous reste encore ce matin une centaine de miles à parcourir, ce qui laisse encore le temps au vent de faiblir et de nous faire arriver au lever du soleil….Pendant la journée, la houle continue à s’amplifier et le vent à monter. Si seulement la houle ne venait que d’une direction, ça irait….mais avec le vent qui force, chaque vague de travers nous fait rouler d’un bord sur l’autre avec de plus en plus d’amplitude. Nous prenons un deuxième ris le soir après le souper car le vent est maintenant établi à plus de 25 nœuds. Nous avançons donc rapidement toute la nuit et approchons l’île de Sal à 3 heures du matin. Nous sommes en prise avec un dilemme : arriver au plus vite mais de nuit avec les risques que cela comprend ou patienter et arriver plus sereinement de jour. Deux éléments influencent notre décision : Nous voyons un voilier français sur l’AIS qui se dirige tout droit vers Palmeira, notre point d’atterrissage sur l’île de Sal et la houle est encore très forte même derrière l’île. Nous ne voulons pas passer plus de temps à nous faire brasser. Nous décidons donc d’arriver de nuit malgré les bouées pour tanker non éclairées et nos cartes peu récentes. Malgré tout, est-ce l’appréhension ou la prudence, nous ralentissons fortement et mettons 2 heures pour couvrir les derniers miles et se présenter à l’entrée de la baie de Palmeira. Pendant ce temps, je vois sur l’ordinateur un ferry qui part vers une autre île. Je place des waypoints sur sa trace afin de la suivre pour rentrer dans la baie. Si un ferry passe, nous passerons. Les lumières sur l’eau ne correspondent pas vraiment ce que nous avons sur la carte et nous sommes bien contents d’avoir les points de passage du ferry pour nous guider et les yeux de lynx de Daphné qui repère 2 bouées d’amarrage de tankers (il y a une raffinerie à Palmeira) à quelques dizaines de mètres de nous. Il y a aussi de nouvelles bouées de chenal dans la baie. Nous voyons désormais des dizaines de feux de mouillage se dévoiler au fur et à mesure que nous pénétrons dans la baie. Nous ne prenons pas de risque et mouillons le plus à l’extérieur possible. Ce choix est judicieux car le fond est un mélange de roches et sable et l’ancre n’accrochera pas de suite. Nous sommes juste en arrière de la bouée de chenal verte et juste à côté du gros voilier français arrivé quelques heures avant nous. À 6 heures du matin, alors que les premiers coqs commencent à chanter et que nous humons des odeurs sableuses de la terre toute proche, nous éteignons le moteur, fourbus mais satisfaits. Nous avons effectué une belle traversée à une très bonne vitesse, 6,3 nœuds de moyenne pour parcourir les 850 miles nautiques (soit presque 1600 kilomètres).
Les Photos
en 5 jours et demi. Maintenant, place au repos. On en a bien besoin….
Vraiment super !!!
Le voyage est superbe, le récit de ce voyage tout autant…
vivement la suite !!
Merci de partager 🙂
Belles photos! Tout semble si calme à bord. Etes-vous sûr que vous êtes sur un bateau? Où serez-vous à Noël ?
Nous serons, si les Alizés le veulent bien, en Guadeloupe.
Trés bien le récit , pas grave les petits aléas vous êtes bien au milieu de l’océan. Quand aux poissons que vous manquez il refont leur vie . Mais les poissons volants se mangent aussi . Au marché aux poissons de Mindelo il y en a plein sur les étales . Pour Daphné il y a plein de marchand Guinéens sur le marché de Mindélo qui vendent des pagnes …
Bises à tous et bon vent .
Christian et Eve
Oui bon repos. En vous lisant aussi on peut ressentir la fatigue. 1600 km c’est quelque chose.
Encore bravo. Et profiter bien de votre nouvelle aire de detente sur l’ile de Sal. Chapeau!
les miles défilent, tout le monde est a ses occupations , bon vent…