Au fait, c’est quoi une transat dans les Alizés ?
Avant de vous livrer le journal de la transat, voici en quelques mots ce qu’est une transat dans les Alizés pour vous donner une mise en contexte à notre petit voyage hors du temps.
Le Trajet : La route est complètement Est-Ouest car le Cap-Vert et la Guadeloupe sont quasiment à la même latitude. La distance théorique est de 2100 miles nautiques, en suivant la route du Grand Cercle, c’est-à-dire la ligne droite sur le globe (et non pas celle sur la carte….). À une vitesse moyenne située entre 5.5 et 6.5 nœuds, nous mettrions entre 13 jours et demi et 16 jours.
Météo : Lorsqu’on parle de traversée de l’Atlantique, nombreux sont ce qui imaginent des tempêtes ou du mauvais temps. Il n’en est rien sous ces latitudes en hiver : Au contraire, on peut s’attendre à du temps très stable où le vent souffle toujours plus ou moins dans la même direction. Ce sont les Alizés, ou tradewinds en Anglais, qui nous poussent vers les Caraïbes, d’Est en Ouest. Ces vents d’Est sont réputés souffler très régulièrement, 24 heures sur 24, pendant l’hiver. Lorsque bien établis, ils peuvent souffler assez fort (25 nœuds) mais aussi s’essouffler lorsque le jeu des dépressions et anticyclones sur l’Atlantique Nord viennent les perturber. On peut alors avoir du vent très faible (5-10 nœuds) ou absolument rien. Il est cependant très rare que le vent tourne radicalement de direction. Seuls les grains viennent ajouter un peu de piment dans cette constance : Ce sont des perturbations locales générées par de gros nuages convectifs (nuages moutonneux à la base sombre qui monte très vite). Le vent peut augmenter de 10 à 15 nœuds en changeant de direction (le vent sort vers l’extérieur du nuage) et peut être accompagné de bonnes pluies qui durent 5 à 20 minutes. Côté température, c’est chaud, 25 à 30 degrés en journée, 20 à 25 la nuit. Il faut dire que l’eau aussi est chaude, 28 degrés Celsius au milieu de l’océan. Par conséquent, peu d’humidité la nuit.
Logistique : Avec une météo comme cela, les bagages d’habits sont plutôt légers. Une polaire et une veste légère suffisent. C’est côté nourriture et eau que les bagages sont lourds ! Nous prévoyons des vivres pour 20 jours, sachant que nous devrions mettre entre 15 et 17 jours selon nos estimations. À 6, cela représente 360 repas. On peut espérer avoir de la nourriture fraîche (légumes, fruits) pendant une quinzaine de jours avec notre grand frigo, hamac à fruits, légumier ventilé dans la cuisine. Pour tout le reste, les vivres s’entasseront dans les banquettes sous le carré et dans les cales si nécessaire. Pour l’eau, nous comptons sur nos 2 grands réservoirs d’eau (400 litres) et notre dessalinisateur.
Vie à bord : La vie s’organise autour des quarts de tous les équipiers. Les quarts sont en place 24 heures sur 24 et dureront 3 heures, avec 4 adultes en quart. Les repas du midi et soir sont les 2 moments de la journée ou tout l’équipage se retrouve. Globalement, les quarts se résument à s’assurer de la bonne marche du bateau car c’est le pilote qui barre. Il y a assez peu de manœuvres de voile à faire. La nuit, il faut être vigilant avec les grains car on ne les voit pas forcément arriver. Par contre, on s’attend à très peu de trafic maritime. Si on peut s’attendre à être sujet au mal de mer les premiers jours, il faut ensuite trouver des occupations pour combler les journées. Typiquement, siestes, lecture, musique, jeux, petits bricolages. Si les conditions de navigation le permettent, nous ferons l’école pendant la traversée pour avoir des vacances à l’arrivée. La pèche occupe peu…sauf quand on attrape quelque chose !
Étant partis le mardi à 15 heures, nous comptabilisons les miles parcourus à cette heure-ci tous les jours. C’est cette information qui sera mentionnée pour chaque journée dans le journal de la traversée, ci-dessous.
Mardi 1er Décembre : Le Départ – Jour 1
Ce matin, Charles va un peu mieux. Il n’est pas encore opérationnel mais son amélioration permet d’envisager sereinement le départ. La météo est un peu plus favorable, avec une baisse du vent prévue pour dimanche et lundi prochain mais on voit que le régime d’alizé semble reprendre rapidement derrière. De toute façon, c’est encore loin, ce qui nous importe ce sont les prévisions à 4 jours, l’horizon maximum pour une prévision fiable. Pendant que Daphné, Phoebé et moi-même retournons en ville pour nous occuper des courses au marché, Claude et Charles se chargent du rangement du bateau et du nettoyage. Nous passons tout d’abord au marché aux poissons. Ce matin, les étals sont pleins et c’est bruyant comme on peut s’imaginer un marché aux poissons. Nous y achetons du sarre et du thon, environ 4.5 kilogrammes, au cas où nous notre pèche serait aussi peu fructueuse que ces dernières semaines. Cependant, Claude nous a ramené de France de nouveaux appâts, de beaux poulpes déjà montés et Daphné a trouvé à Mindelo du fil de pèche de plus gros diamètre. Nous continuons vers la place Estrella où l’on trouve de nombreux marchands de fruits et légumes. Ici aussi, comme dans le reste de l’archipel, l’offre en fruits est assez limitée (oranges, bananes, papayes), par contre, niveau légumes nous trouvons tout ce qu’il nous faut. Au retour, nous finissons nos escudos en achetant une bonne provision de pain et un CD du mythique groupe Cap Verdien « Voz de Cabo Verde ». De retour au bateau, je pars sur Tsaelou pour récupérer des guides nautiques, livres et documentaires pour enfants sur mon disque dur et amener à Gaël du matériel que mon père a acheté en France. Ce genre de troc vaut de l’or en bateau! Ensuite, nous entamons la phase final des préparatifs : Le dégonflage de l’annexe et attacher tout ce qui doit l’être sur le bateau. Finalement, nous sommes prêts à appareiller vers 14h30. L’émotion est palpable lorsque les amis viennent nous dire au revoir de vive voix ou à la VHF. C’est un beau chapitre du voyage qui se referme aujourd’hui car tout le monde à bord a adoré le Cap-Vert et les rencontres que nous y avons faites. Évidemment, les filles sont tristes de quitter leurs amis, surtout dans la perspective de 2 semaines en mer, en proie au mal de mer en particulier pour Phoebé. Nous ne partirons pas facilement de notre mouillage car le vent souffle à 25 nœuds dans la baie de Mindelo et l’ancre est bien prise dans un mélange de vase et détritus en tous genres. La suite n’est pas beaucoup plus simple car le courant et le vent s’accélèrent dans l’étroit chenal entre Sao Vincente et Sao Nicolau. D’après les bruits de ponton, le courant serait dans notre sens à partir de 15 heures – d’où notre horaire de départ aujourd’hui. Nous sommes tout d’abord pris dans des contre-courants et de la vague de travers (ce qui est fort inconfortable en plus de ne pas avancer) avant d’attraper le courant principal qui nous permettra de contourner Santo Antao au vent arrière. Ces quelques miles seront très rapides, à plus de 7 nœuds jusqu’à la pointe Sud-Est de l’île où le vent passe brutalement de 25 nœuds dans le dos à a peu près rien dans toutes les directions. Pendant ce trajet, nous avons plusieurs touches avec notre nouvel appât, jusqu’à ce que le fil parte à toute vitesse : Nous avons un client sérieux! En effet, Daphné et Claude remonterons un beau petit thon de quelques kilogrammes. Nous exultons! Cet appât aura vite été rentabilisé. Claude et Daphné le nettoie et prépare en coupant 2 grands filets entaillés et salés. Nous les plaçons à l’extérieur. Dans 3 jours, nous devrions avoir de la délicieuse viande fumée, telle celle que Daphné a goûtée à bord de Tsaelou.
Pour le moment, nous n’avons d’autre choix que d’allumer le moteur pour essayer de s’extirper de ce trou de vent sous la côte de Santo Antao. Le plus surprenant dans tout cela est que nous avons un peu de vent…mais du Sud-Ouest! Nous faisons donc un peu de près, las d’entendre le moteur. C’est le pompon, nous partons pour une transat avec les alizés dans le dos et nous retrouvons après quelques heures avec le vent dans le nez. Heureusement, vers 21h30, dès que nous quittons l’ombre de l’île, la situation redevient normale avec le vent de Nord-Est qui réapparaît et se renforce. Les quarts de 3 heures sont établis depuis le début de la soirée, mais je devrai prêter main forte à Charles et Claude qui ne connaissent pas encore le bateau et commencent dans des conditions quelque peu chaotiques. Nous avons également établi des quarts de cuisine et de vaisselle pour répartir les tâches sur tout l’équipage.
Mercredi 2 Décembre : Jour 2
Maintenant que le vent est établi, le reste de la nuit s’est déroulé sans histoire. Aucun bateau croisé, pas de gros changements dans les conditions de mer et de vent. Le matin, chacun se réveille et déjeune à son rythme et à son heure. Le déjeuner est le seul repas de la journée pour lequel chacun s’organise de son côté. De toute manière, c’est un peu nécessaire pour l’utilisation de la cuisinière et gérer son propre équilibre et celui des objets que l’on manipule. En effet, la mer est à peu près de 3/4 arrière, ce qui signifie que la majorité du temps le bateau est relativement stable mais lorsqu’une vague nous frappe de côté, le bateau se met à rouler sauvagement d’un bord sur l’autre. Charles est toujours en proie aux restes de sa tourista et à un bon mal de mer. Joyeux cocktail ! Daphné et Phoebé aussi sont pas mal incommodées par les conditions. En général, l’amarinage prend environ 3 jours. Normalement, les conditions de mer devraient s’améliorer au fur et à mesure que la mer s’alignera dans notre arrière. Pour le moment l’école est fermée car ça serait un peu dur de se concentrer, aussi bien pour les élèves que les professeurs. Le soir, les conditions de mer nous permettent de manger sereinement dans le carré où nous dégustons des darnes de Sarre, achetées la veille au marché. Nous en avons en quantité suffisante pour au moins 3 ou 4 autres repas pour lesquels il pourra être accommodé en salades, dans des sauces de pâtes, etc.
Distance parcourue : 157 NM (6.54 nœuds)
Distance sur la route directe : 152 NM
Reste à parcourir : 1950 NM
Jeudi 3 Décembre : Jour 3
La nuit dernière, il y a eu un peu d’action vers la fin de la nuit pendant le quart de Charles : Pour la première fois apparaît un bateau sur l’AIS. Comme convenu, il me réveille. Il s’agit d’un chalutier espagnol que nous tentons de localiser sur la mer en scrutant l’horizon à la recherche d’une lueur. Je m’aperçois aussi qu’un cargo arrive sur notre tribord avant mais que nous devrions passer bien devant. Pendant que nous cherchons à localiser ces 2 navires, Charles aperçoit une lumière sur l’eau, la minute d’après, il se rend compte qu’elle est juste en avant du bateau. J’ai juste le temps de changer le cap du bateau sur le pilote automatique pour éviter une bouée lumineuse qui matérialise probablement un filet dérivant. Celle-ci passe à 2 ou 3 mètres du bateau. Le plus problématique devient alors le cargo : Le chalutier est sur sa route et il commence à obliquer sa course pour l’éviter. Par contre, comme nous n’avons pas de transpondeur AIS, il ne nous voit pas et nous fonce droit dessus maintenant. Nous avons quand même 15 à 20 minutes pour réagir. Je choisis donc de rouler le génois et de loffer franchement pour aller dans sa direction et ainsi ne plus être sur sa route. Nous nous retrouvons alors parallèles aux vagues sans trop de vitesse. Cela aura raison de l’estomac de la pauvre Phoebé qui sort de sa cabine pour vomir. Elle aura assez de maîtrise pour attendre que je lui sorte un seau…. Pas cool comme réveil. Le cargo passe à environ 1 miles de nous et nous reprenons aussitôt notre route. Tout s’est passé sans danger ni stress et nous rappelle cependant que même si il ne se passe pas grand-chose il faut rester vigilant car les rencontres en mer défient les lois des statistiques. Malgré cette manœuvre, nous conservons une excellente vitesse moyenne sur 24 heures au point de l’après-midi avec 163 miles nautiques parcourus, notre record en traversée. Depuis l’évitement du cargo, nous filons à presque 7.5 nœuds. Charles est complètement remis de son mal de mer et peut maintenant profiter pleinement de la traversée et se joindre à nous dans le cockpit entre les quarts. Aujourd’hui, Claude est à la recherche d’une petite fuite sur la pompe hydraulique du pilote, nouvellement installée à Mindelo. Rien d’inquiétant mais il faudra le régler. Au chapitre des bricolages, il répare aussi notre couvercle de cocotte-minute avec les moyens du bord. Éléa déborde d’énergie, commence sa journée à faire des bracelets brésiliens, continue avec du coloriage, puis transforme tout ce qui bouge dans le bateau à grands coups de baguette magique. Je crois qu’elle aussi est en amour avec Harry Potter. En fin de journée, elle sort les Legos et fabrique toutes sortes d’engins hétéroclites avec lesquels elle vient jouer au milieu de nous dehors. Sa bonne humeur et sa capacité à s’occuper dans cet environnement mouvant est épatante. Phoebé va de mieux en mieux mais reste quand même la majorité du temps allongée. La mer étant encore un peu de côté, le bateau continue de rouler pas mal et rend la préparation des repas un peu scabreuse. Nous nous entraidons donc en les préparant à 2. Ce soir, Charles et moi-même préparons sous les instructions de Daphné un succulent curry de thon au coco et aubergines. Un délice que nous dégustons dehors car ça bouge trop pour manger à l’intérieur. Ce soir, le vent est remonté et nous filons à 8 nœuds, tous ces miles gagnés nous donneront une bonne marge de manœuvre pour appréhender la période de vent léger qui se dessine pour le début de la semaine prochaine.
Distance parcourue : 163 NM (6.79 nœuds)
Distance sur la route directe : 163 NM
Reste à parcourir : 1786 NM
Vendredi 4 Décembre : Jour 4
La nuit a été calme, nous avons pas mal ralenti car nous nous retrouvons plein vent arrière et devons ranger le génois qui bat. Daphné croise en début de nuit un immense voilier anglais de 65 mètres « Tenacious », alors que Claude et Charles ont eu à surveiller un cargo qui passait sur une route parallèle à la nôtre à une distance respectable. La nuit la température descend quand même pas mal et nous supportons facilement un chandail ou même une veste pour certains. Ce matin, nous avons à nouveau empanné le génois pour le mettre en ciseau et redescendre plein vent arrière sur notre route. Si notre vitesse se maintient, nous aurons effectué le quart du trajet ce soir vers 21 ou 22 heures. En fin de matinée, avec Charles, nous avons besoin de bouger et faisons une petite séance d’exercice en faisant des tractions sur le portique arrière, des push-ups, squats, mountain climbers et la planche sur le pont avant. L’absence de stabilité complique pas mal les choses mais ça fait du bien de se bouger un peu. Daphné se joint aussi à nous et tout le monde apprécie de sortir un peu du cockpit. Ce sont évidemment les conditions plus calmes que nous rencontrons à partir d’aujourd’hui qui nous permettent cela. Le temps a un peu changé aujourd’hui avec l’apparition de nuages. Nous conservons une moyenne élevée : Au point de 15 heures, nous aurons parcouru 165 miles nautiques en 24 heures, encore un peu mieux que la veille. Ce midi, nous goûtons enfin le thon salé qui sèche depuis 4 jours maintenant. La chair est fondante et rappelle celle d’un bon jambon salé. Le soir, les conditions plus calmes nous permettent aussi de prendre un petit apéritif dans le cockpit avant le repas du soir. Ce soir, nous mangeons un plat que tout le monde adore: Des carottes au cumin, avec de la semoule et du poisson. La nuit se passe sans encombre, avec seul un cargo que nous croisons de loin pendant le quart de Claude. Seuls les poissons volants qui viennent se suicider sur le pont divertissent l’homme de quart. La nuit est bien calme car le vent a encore baissé : Nous avons remis la grand voile haute pour reprendre un peu de vitesse. Pour éviter que la même personne hérite toujours des mêmes horaires (genre le milieu de la nuit), nous faisons une rotation des quarts : Ainsi, certains jours, une personne n’aura qu’un seul quart, alors qu’un autre jour, elle aura 3 quarts. Ce système semble bien fonctionner et on peut tous bien se reposer.
Distance parcourue : 165 NM (6.88 nœuds)
Distance sur la route directe : 164 NM
Reste à parcourir : 1622 NM
Samedi 5 Décembre : Jour 5
Au lever du soleil, le vent continue de baisser et nous commençons à galérer sérieusement à faire avancer le bateau. Dans ces conditions, on recherche avant tout à conserver une vitesse minimum qui évitera au bateau de se faire balloter dans la houle comme un bouchon. En parallèle de cela, je découvre dans la matinée que le panneau solaire ne charge quasiment plus. Pourtant, ce matin, pas un nuage ne vient faire de l’ombre. Pour me donner le temps d’investiguer le problème, nous commençons avec Daphné par mettre l’hydrogénérateur à l’eau, avec sa nouvelle turbine que Claude nous a fabriquée et amenée à Mindelo. Cette fois-ci, je m’assure à plusieurs fois que rien ne se desserrera. Malheureusement, notre faible vitesse ne permet pas à l’engin de produire une quantité suffisante d’électricité. Il faut absolument résoudre le problème du panneau rapidement. Finalement, mon investigation montre que c’est un bête porte-fusible situé entre le panneau solaire et le régulateur qui fait défaut : La moitié de la puissance y disparaît! Une fois le problème isolé, je laisse Claude descendre dans la cale et réparer : Il le remplace tout simplement par un morceau de câble et un domino. L’expression « tout simplement » ne rend pas justice au travail que représente une réparation en mer : Trouver les pièces est déjà une épreuve car il faut sortir pas mal de choses dans un bateau plein avec 6 occupants, souvent dans une position idéale pour attraper le mal de mer. Ensuite, il faut effectuer la réparation dans un espace exigu, toujours secoué. Pendant qu’il s’occupe de la réparation, Daphné, Charles et moi-même nous employons à mettre le spinnaker, notre seule solution pour continuer à se mouvoir avec si peu de vent. Avec la houle, les voiles et le gréement claquent à tout rompre. Il est temps d’agir. Une fois le spinnaker établi, nous peinons un peu à la faire flotter. Finalement, c’est en abaissant tout simplement la grand-voile que le spi flottera et nous assurera une bonne vitesse pour le reste de l’après-midi et la nuit. Aujourd’hui, les conditions plus clémentes ont permis la reprise de l’école pendant la matinée. Ça occupe les filles et ça nous permet de ne pas trop prendre de retard sur le programme : tout le monde appréciera bien des vacances de Noël en Guadeloupe sans école! Le reste du temps, Éléa joue toujours beaucoup aux Legos et Phoebé passe le plus clair de son temps à lire. Une fois les problèmes résolus, certains d’entre nous profitent du calme relatif pour se laver à l’arrière du bateau : On se lave en se versant des seaux d’eau dessus et on se rince à l’eau douce avec la douchette de pont. Ensuite, Claude et moi-même rêvons en parcourant au complet le guide nautique des Antilles (le fameux « Patuelli »), avec un punch à la main. Cette nuit, les quarts nécessiteront beaucoup plus d’attention car nous sommes sous spi : Cette grande voile très puissante peut facilement coucher le bateau dans les rafales si on ne les anticipe pas et on laisse le bateau remonter dans le vent. Les 2 premiers quarts, Charles puis Claude se passent sans soucis. Le suivant que je prends est plus pénible avec le vent qui baisse et on peine à nouveau à faire flotter le spinnaker et à avancer. Heureusement, le vent reprend peu avant le quart de Daphné. Sinon, la nuit est très agréable, douce et très étoilée.
Distance parcourue : 148 NM (6.17 nœuds)
Distance sur la route directe : 145 NM
Reste à parcourir : 1477 NM
dimanche 6 Décembre : Jour 6
Ce matin, contrairement aux jours précédents où chacun commence sa journée à son heure et à son rythme, tout le monde se retrouve sur le pont vers 5h30 du matin quand le vent fraîchi à l’approche d’un grain et le bateau prend un bon coup de gîte en accélérant dans le vacarme de la toile de spi qui dévente : C’est le signe avant-coureur d’un « départ au lof » où le bateau se couche en remontant vers le vent sous la pression excessive du vent dans les 135 m2 de cette puissante voile. Claude se recouche et avec Daphné et Charles qui prend bientôt le quart suivant, nous restons une demi-heure supplémentaire sous spi et surtout sur le qui-vive, la main sur la barre, l’autre sur l’écoute, prêt à choquer : Les nuages de grains se multiplient dans le ciel et deviennent de plus en plus évidents avec le soleil qui commence à éclairer l’horizon. À l’approche d’un gros nuage, je décide d’affaler et de renvoyer la grand-voile et le génois. À 3 personnes, la manœuvre se fait bien, surtout que maintenant, après 5 jours en mer, tout le monde commence à être bien rôdé aux manœuvres. Le choix était judicieux car le vent monte encore et les grains se succéderont ainsi toute la matinée. C’est un réel changement car nous n’avions pas encore rencontré de ces beaux gros nuages bourgeonnants dont seuls certains présentent cette base noire inquiétante qui donne parfois des rafales de vent accompagnées de pluie, aussi soudaines qu’intenses. Aussi réveillées tôt par la manœuvre, les filles se joignent à Charles et moi dans le cockpit peu avant le lever du soleil. Nous dégustons tous les 4 nos céréales en contemplant le soleil se lever et éclairer progressivement tous les gros nuages qui nous entourent. Dans la matinée, nous remettons les voiles en ciseau et reprenons un cap plus en phase avec la houle pour revenir sur notre route et améliorer le confort. Ensuite, place au sport avec une nouvelle séance d’exercice comme il y a 2 jours. Cette fois-ci, nous faisons tous les 3 la séance au complet, alors que Claude s’y met en faisant des tractions dans le cadre du hublot de la cuisine! Ce matin aussi, les filles font une petite séance d’école. Éléa devient super bonne en bracelets brésiliens et Claude apprend OpenCPN, le logiciel de navigation. L’après-midi, la soirée et la nuit sont calmes, peut-être un peu trop niveau vent car nous voyons notre moyenne baisser continuellement, mais ça pourrait être pire : Nous n’avons jamais eu de panne complète de vent. Cependant, il faut désormais composer avec les nuages de grain et aller chercher le vent intelligemment en restant sur les côtés de ceux-ci.
Distance parcourue : 136 NM (5.67 nœuds)
Distance sur la route directe : 131 NM
Reste à parcourir : 1346 NM
Lundi 7 Décembre : Jour 7
Pendant la nuit, le vent a continué à baisser, par contre la nuit était très belle, très claire. Nous naviguons quasiment toute la nuit sous la voie lactée car la lune se lève en fin de nuit et est sur le dernier quartier. Elle se lève dans notre sillage et éclaire juste celui-ci, c’est vraiment beau. Il n’y a pas à dire, lorsqu’il n’y a pas de trafic et que les conditions sont confortables, les nuits en mer sont magnifiques, méditatives. Ça fait d’ailleurs plusieurs nuits que nous n’avons vu aucun bateau, ni sur l’AIS, ni de visu. À part le rythme du soleil et notre trace virtuelle sur l’écran de l’ordinateur, le temps semble suspendu dans cette immensité. Difficile à décrire, le temps et l’espace prennent une autre dimension en mer, faute de repères. Cependant, nous ne nous ennuyons pas (les adultes tout au moins). Les journées passent assez vite, au rythme des repas, séances de lecture, manœuvres, siestes. Le tout au rythme de chacun. Sans avoir vécu cette expérience, nombreux ceux qui pensent qu’être seuls, perdus au milieu de cette immensité bleue peut être angoissant. En fait, c’est le contraire, c’est apaisant, surtout quand l’ambiance est bonne à bord et que tout le monde cohabite bien, avec des moments seuls, des moments en groupe. Ce matin, nous avons eu 2 gros grains qui nous amené pas mal de vent, bienvenu pour accélérer un peu. Vers la fin du 2ieme grain, nous avons eu une touche sur la ligne de pèche, juste à côté d’une espèce de bouée de pèche, probablement à la dérive. Nous avons tout d’abord pensé que nous l’avions accrochée mais il s’agissait en fait d’une belle daurade coryphène d’environ 80 cm. Tout l’équipage est réquisitionné pour la remonter : Il faut ralentir le bateau, barrer manuellement pour éviter que le poisson passe sous le bateau, remonter l’hydrogénérateur que nous trainons, préparer l’épuisette, l’alcool pour la mise à mort, l’appareil photo pour la couverture médiatique! Charles et Daphné ont travaillé fort pour faire de beaux filets. Le midi, nous en avons mangé cru, mariné dans du lait de coco, du jus d’orange fraîche et du sirop d’érable. Un délice. Le soir, nous mangerons des filets grillés à la poêle. Tout aussi délicieux. La chair est très fine. Dans l’après-midi, le vent retombe et la houle nous malmène un peu plus lorsque nous manquons de vitesse. Nous mettons donc le spinnaker. Immédiatement, nous reprenons de la vitesse et filons maintenant entre 6 et 7.5 nœuds, malgré le vent faible. C’est vraiment une superbe arme pour la pétole. La soirée est très belle, avec un beau coucher de soleil derrière les typiques nuages d’alizés, bourgeonnants et à la base plate. Nous conservons le spinnaker à la tombe de la nuit pour continuer à avancer. Cela demande par contre une grande concentration car les variations de vent sont fréquentes et la voile très puissante.
Distance parcourue : 141 NM (5.88 nœuds)
Distance sur la route directe : 137 NM
Reste à parcourir : 1209 NM
Mardi 8 Décembre : Jour 8
Les 2 premiers quarts sous spi se sont bien déroulés. Peu après minuit, lorsque Charles est de quart, nous sommes tous déjà un peu réveillés à bord par les soubresauts du spi et le bateau qui rue et nous malmène. Charles vient me réveille lorsqu’un gros grain arrive derrière nous et amène du vent de 20 nœuds. Claude est aussi réveillé et vient nous prêter main forte pour l’affalage. Finalement, Daphné aussi sortira du lit en urgence lorsque je me rends compte que la chaussette de spi est bloquée en tête de mât et je ne peux la descendre. Ça complique pas mal les choses car il faut le descendre de manière traditionnelle, alors que les 135 m2 de toile claquent dans les rafales. On sort le génois pour masquer le spi et essayer de le déventer. De peine et de misère, j’arrive à attraper le bas du spi, en équilibre au-dessus du nez du bateau (mais attaché, évidemment) alors que Charles contrôle la descente de la drisse au pied de mât. Nous arrivons à le ramener sur le pont mais une partie est passée sous le bateau. Nous devons alors remonter l’hydrogénérateur, laisser filer l’écoute du spi dans l’eau en arrière du bateau et ensuite ralentir celui-ci pour arriver à ramener à bord la toile collée par la vitesse sous l’avant du bateau. La manœuvre s’effectue au final très bien avec notre équipage bien rôdé. Nous hissons ensuite la grand-voile et repartons sur notre route, avec un confort accru et une vitesse quasi identique. Après avoir démêlé le cordage anti-torsion de l’hydrogénérateur, Claude prend son quart et tout le monde retourne se coucher. Drôle de début de journée pour fêter ses 70 ans, mais finalement fidèle au personnage ! Je prends la relève à 5 heures du matin. Après quelques minutes, nous voilà à nouveau rattrapés par un gros grain qui m’oblige à manœuvrer pendant une heure pour suivre les variations importantes de direction du vent. En outre, je vois 2 lumières de bateau sur l’horizon qui n’apparaissent pas sur l’AIS. Il s’agira en fait de 2 voiliers français en transat qui naviguent peut-être ensemble (un des 2 apparaitra plus tard sur l’ordinateur). Au final, je devrai manœuvrer pendant presque tout le temps de mon quart, jusqu’au lever du soleil. Celui-ci est magnifique car il éclaire les gros nuages gris et les trombes de pluie qu’ils déversent sur la mer. Peu après, nous sommes entourés d’un magnifique arc-en-ciel que nous voyons de bout en bout. Finalement, c’est un autre et meilleur début de journée pour Claude qui se lève à ce moment. Peu après, les petites filles nous rejoignent pour admirer l’arc-en-ciel et savourer un bon bol de céréales. Place ensuite à l’école. Aujourd’hui, les filles ont des évaluations de maths et de français. Ça ne rigole pas! Côté navigation, nous avançons vite dans un vent plus soutenu que les jours précédents et rattrapons rapidement les 2 voiliers.
C’est devenu notre habitude tous les 2 jours : Séance de sport sur le pont pour Daphné, Charles et moi-même. Ça fait du bien et ça rythme nos activités. S’ensuit une bonne douche au seau d’eau sur la plateforme de bain.
Comme hier, le vent a molli vers le midi alors que de hauts nuages stratiformes s’alignent derrière nous. Le vent reprendra lorsque ceux-ci laisseront place à nouveau à du ciel bleu et des gros cumulonimbus plus tard dans l’après-midi. Ce midi, nous mangeons notre thon salé pêché au début de la traversée en curry : Nous l’avons fait dessalé depuis 12 heures, puis cuit dans du lait, crème, curry et agrémenté de patates douces. C’est excellent. Cet après-midi, les filles ont préparé le gâteau d’anniversaire de Claude qui cuit dans le four. Le champagne est au frais pour que nous fêtions ce soir. Il ne nous reste plus qu’à espérer une nuit plus tranquille que la dernière! En tout cas, aujourd’hui nous avons repris une bien meilleure moyenne de vitesse et avançons sur la route directe.
Le soir venu, nous avons pris le champagne à l’apéro dans le cockpit avec un beau coucher de soleil. Ensuite, gros luxe, souper à l’intérieur : Ça ne bougeait pas trop, alors ça nous a permis de prendre le temps pour le repas d’anniversaire : Pâtes au pesto et viande fumée suivie d’un délicieux brownie au chocolat. Claude a soufflé ses bougies dans l’obscurité, comme à terre ! Éléa avait fabriqué une belle décoration de gâteau: une banderole qui indiquait « bonne fête papi ». Le vent avait un peu forci avec le passage d’un grain, nous avions donc pris un ris pour être tranquille le temps du repas. Dès le repas terminé, nous avons remis la grand-voile haute.
Distance parcourue : 153 NM (6.38 nœuds)
Distance sur la route directe : 151 NM
Reste à parcourir : 1058 NM
Mercredi 9 Décembre : Jour 9
Aujourd’hui, aucune manœuvre, on avance toujours sous la même allure depuis hier soir, grand-voile haute et génois tangonné. La houle de travers prévue à la météo est arrivée en début de nuit hier. Ça secouait beaucoup à l’avant pour Daphné et moi. En gros, on arrive à dormir seul en faisant l’étoile de mer en travers de la couchette. À 2, c’est plus difficile et le torticolis est souvent assuré au réveil ! À part ça, c’est super relax aujourd’hui : grand ciel bleu, du vent, bref rien à signaler. Pendant la nuit nous avons doublé un voilier qui nous a à son tour doublé à midi après avoir mis son spi. Nous préférons rester sur le même réglage de voiles car nous avons quand même une bonne vitesse. Daphné et Phoebé nous ont fait d’excellents wraps pour ce midi. Depuis, les filles jouent ensemble aux Legos. Elles ont fabriqué un salon de coiffure/resto/maison sur roues ! Bizarrement, leurs personnages doivent faire des quarts pour conduire la maison sur roue. On se demande où elles vont chercher tout cela ! Hier vers 15 heures, nous avons passé le jalon symbolique de mi-parcours, 1050 miles nautiques et quelques heures plus tard, celui des 1000 miles nautiques à parcourir. On sent qu’une routine s’est instaurée à bord et le temps s’égrène tranquillement : Tout le monde s’occupe, la vie au large suit son cours ! L’après-midi a été très calme, comme le reste de la journée, jusqu’à ce que de gros grains se pointent en arrière de nous. Un grain génère temporairement beaucoup de vent, dont l’angle change significativement, en plus de donner de fortes pluies. Comme c’est toujours le cas sur un bateau, il faut souvent agir très vite après des heures et des heures d’inaction. Ainsi, en quelques minutes, avec Charles nous rentrons le génois, prenons un ris dans la grand-voile que nous empannons ….pour que le vent chute quelques minutes plus tard. On recommence alors le tout à l’envers: enlever le ris, empanner, remettre le génois. C’est un peu comme un exercice incendie ou l’on reste ses habiletés. Pour le grain suivant, nous nous sommes contentés de rentrer le génois pour réduire la voiture et suivre le vent. C’est beaucoup plus économe en efforts. Heureusement, nous avons eu un très beau coucher de soleil sur ce ciel de gros nuages.
Distance parcourue : 148 NM (6.17 nœuds)
Distance sur la route directe : 147 NM
Reste à parcourir : 911 NM
Jeudi 10 Décembre : Jour 10
Depuis la nuit dernière, le vent a pas mal augmenté et nous garantit à nouveau une bonne vitesse mais aussi une nuit et une vie à bord en général agitée : La houle n’est toujours pas orientée en arrière de nous, toujours un peu du Nord et de temps en temps, nous nous faisons sérieusement secouer. Sans préavis. En bref, depuis hier soir, nous avançons bien, mais c’est un peu fatigant, en particulier pour celui qui est de quart et doit composer avec les nombreux grains qui se succèdent. La nuit, tout particulièrement, il faut être vigilant car on a du mal à estimer la taille des nuages et, bien évidemment, la couleur de leur base qui en dit long sur le vent qu’ils peuvent générer. Malgré tout, ce matin, Daphné fait l’école aux filles pendant que les garçons s’affairent sur plusieurs petits bricolages et la maintenance quotidienne de l’hydrogénérateur, dont le câble anti-torsion se tord quand même pas mal….Comme le veut maintenant notre routine, nous faisons une séance de sport sur le pont avant du bateau en fin de matinée. Cette période d’exercice qui tient autant de la musculation que de l’équilibrisme nous plaît beaucoup car rythme notre vie, nous donne de l’énergie….et justifie pleinement une bonne douche à l’arrière du bateau ! Ce matin, les filles ont décoré des chiffres pour le décompte que nous avons commencé à 1000 miles de l’arrivée. Le décompte s’effectue tous les 100 miles nautiques et est affiché sur la porte des toilettes, sous le planning des quarts. Nous sommes actuellement à environ 750 miles nautiques de l’arrivée. D’après la météo la houle devrait s’orienter dans notre dos d’ici là nuit prochaine et le vent tenir au moins jusqu’à demain soir. Après, il se peut que ça ralentisse à nouveau. Nos réserves de poisson prennent fin, nous allons essayer de repêcher quelque chose…
Distance parcourue : 156 NM (6.50 nœuds)
Distance sur la route directe : 153 NM
Reste à parcourir : 758 NM
Vendredi 11 Décembre : Jour 11
Commençons par corriger un petit oubli pour la journée d’hier: alors que nous commencions notre séance d’entrainement, nous avons eu la visite d’un petit groupe de dauphins qui sont restés jouer une dizaine de minutes à l’étrave du bateau. Première visite de ce type sur la transat. Hier, nous avons conservé une très bonne vitesse toute la soirée et quasiment toute la nuit. Ça a bien remonté notre moyenne. Ainsi, nous avons passé hier en fin de journée la barre des 700 miles avant l’arrivée et aujourd’hui à la mi-journée celle des 600. Ce petit décompte est bien apprécié de tous, en particulier des filles. Aujourd’hui, le vent a légèrement baissé et nous recevons de temps en temps des vagues de travers qui font énormément rouler le bateau. Ça fatigue beaucoup car il faut toujours compenser son équilibre. Malgré cela, je me suis lancé aujourd’hui dans un projet de bricolage qui s’est avéré fort long, malgré Claude qui est venu en renfort: installer une réglette de LEDs dans la cuisine. Je peux vous assurer que quand tout bouge dans tous les sens, ça n’est pas évident (en particulier les tâches de précision!). En tout cas, nous avons désormais une belle petite lumière dans la cuisine qui sera bien utile pour les fringales nocturnes ! Les filles jouent toujours aux Legos toute la journée, elles n’arrêtent pas de construire des objets puis de construire des histoires. En tout cas, elles ne se sont jamais plaint qu’elles s’ennuyaient. Fait remarquable pour des enfants confinés dans un si petit espace depuis 11 jours maintenant. Hier soir, nous avons fini notre dernière portion de poisson (le thon salé) en curry. Par conséquent, Charles a essayé de pêcher toute la journée mais il y a trop d’algues. Elles se bloquent sur l’appât et il faut continuellement le remonter. Il persévère quand même car il y a eu plusieurs touches. Cette nuit, nous passerons le jalon des 3/4 du parcours. Si notre allure se maintient, nous devrions arriver mardi en milieu ou fin d’après-midi, même si c’est encore trop tôt pour avancer une date, en particulier avec les prévisions très légères qui s’annoncent d’ici dimanche. Aujourd’hui, nous avons croisé un cargo et quelques sternes, voilà à quoi se limite la visite ! Heureusement que les nuits sont belles et que notre regard peut se perdre longuement dans la voie lactée. Chaque nuit, ça reste toujours aussi magique.
Distance parcourue : 159 NM (6.63 nœuds)
Distance sur la route directe : 156 NM
Reste à parcourir : 602 NM
Samedi 12 Décembre : Jour 12
Depuis hier, le vent a considérablement molli. La nuit a été tranquille, très chaude, avec de belles étoiles mais aussi très lente. Malheureusement, ce n’est que du vent faible qui s’annonce devant nous jusqu’à l’arrivée. Autant dire que les 500 derniers miles risquent d’être longs !! Ce matin, j’ai pris mon quart à 6 h avec les filles pour qu’elles puissent profiter du lever du soleil. En même temps, Phoebé pratique un peu le logiciel de navigation. Nous avons une équipière en formation les prochaines traversées ! Nous avons empanné pour remonter un peu sur notre route. Dans les heures qui ont suivi nous avons croisé 2 cargos, dont un assez proche, ça faisait longtemps ! Depuis, le vent a continué à faiblir et nous avons sorti le spi pour continuer à avancer à un petit 5 nœuds, 5.5 nœuds. Avant cela, nous avons dû le vérifier de haut en bas et le détwister après l’affalage en catastrophe de l’autre nuit. Ça n’est pas une mince affaire vu la taille de la voile. Nous avons fait cela à 3 avec Claude et Charles. Ce matin, nous avons aussi fait notre séance de sport habituelle, comme tous les 2 jours, avant une bonne douche à l’arrière. Éléa s’est faite eu une bonne frayeur en se prenant les cheveux dans l’hydrogénérateur en voulant échapper au shampoing. Ce n’est pas malin….Pendant ce temps, Claude a installé une autre rampe de lumières LED dans la salle de bains arrière. Les filles jouent toujours autant aux Legos. Quelle belle invention !
Aujourd’hui nous avons eu des nouvelles de 2 bateaux-copains du Cap Vert, ils sont environ 450 miles derrière nous. Maintenant, il reste à espérer que les prévisions sont pessimistes et que le vent ne tombera pas trop ! Nous appréhendons surtout le vent faible car la houle est encore importante et risque de nous malmener si le vent n’est pas suffisant pour que nous conservions de la vitesse dans les vagues. Nous avons eu droit à ce scénario pendant l’après-midi et avons dû ranger le spi qui n’arrivait plus à flotter. En étant mal alignés avec la houle, Il se balance dangereusement et parfois…s’emmêle dans l’étai. Nous l’avons donc rentré et sommes repartis à une allure plus proche du vent sous génois. De toute façon, depuis l’autre nuit et nos mésaventures, nous avons abandonné l’idée de mettre le spi la nuit.
Distance parcourue : 133 NM (5.54 nœuds)
Distance sur la route directe : 132 NM
Reste à parcourir : 470 NM
Dimanche 13 Décembre : Jour 13
Hier après-midi, nous avons eu bien fait de ranger le spi car la nuit a été mouvementée : Tout d’abord, plus de vent du tout et de la houle qui faisait claquer voiles et gréement à tout rompre. Ensuite, nous avons eu une succession de grains parfois violents qui nécessitent de nombreuses manœuvres. Au final, nous avons eu pour la première fois une perturbation qui nous a amené beaucoup de pluie froide pendant plus de 2 heures et du vent qui a tourné de presque 180 degrés. Bref, une nuit éreintante et qui n’annonce pas un retour aux alizés bien établis avant un moment ! Au petit matin, le ciel s’est dégagé et nous avons retrouvé du vent correct le matin. Malheureusement, depuis la mi-journée, la houle n’a cessé de tourner et nous rend la vie impossible.
Nous alternons les stratégies pour que le gréement ne claque pas à se rompre tout en restant proche de la route directe car les conditions de vent ne sont pas meilleures ni au-dessus ni en dessous de notre route. Parfois, nous faisons des zigzags autour de notre route, parfois, comme ce soir, nous arrivons à avancer à peu près sur notre route. Par contre, la vitesse a chuté complètement, nous avançons au mieux à un bon 5 nœuds. Du coup, tout le monde était pas mal fatigué et las aujourd’hui. Espérons que la nuit prochaine ne sera pas trop pénible. Nous espérons juste du vent à peu près stable et qui nous permette de bien avancer avec la houle. Quelle différence avec la navigation côtière : Il nous aurait alors suffi de tirer de grands bords de largue sous spi comme on le fait sur un parcours de régate pour rejoindre la bouée sous le vent. Ici, dans des conditions de vent aussi légères, ça n’est pas le vent mais la mer qui dicte la direction à prendre. Les filles, imperturbables continuent leurs constructions et jeux de Legos. Au chapitre des bonnes nouvelles (pour moi au moins), j’ai trouvé l’origine de l’eau de mer qui se retrouvait dans une des cales du bateau : L’eau provient de l’évacuation de l’évier qui est fendue. Ça fait quand même 4 mois que je la cherchais !!
Cette nuit, vers minuit, heure locale, nous passerons le prochain jalon: 300 miles de l’arrivée ! Nous sommes tous rendus fébriles vis-à-vis de ces étapes symboliques dont l’heure d’atteinte ne cessent de reculer avec le vent qui faiblit.
Distance parcourue : 126 NM (5.25 nœuds)
Distance sur la route directe : 120 NM
Reste à parcourir : 350 NM
Lundi 14 Décembre : Jour 14
Mes vœux n’ont pas été exaucés : la nuit fut encore pire que la précédente après un après-midi correct à avancer tant bien que mal en trouvant le fragile équilibre entre vent et houle pour avancer sans se faire rouler d’un bord sur l’autre. En outre, lorsque le vent est très faible, chaque mouvement de roulis du bateau le déséquilibre et lui fait perdre toute sa vitesse en déventant les voiles. Pendant la nuit, le vent est vraiment tombé et malgré nos efforts, les voiles et le gréement claquaient de façon insupportable. En bref, ce matin, tout le monde était fatigué et pas mal déprimé. Pour contrer cela, nous établissons aussitôt que possible, vers 8h, le spi. Il nous permet se retrouver de la vitesse sur un cap correct. Quel soulagement ! Le bateau glisse sans bruit ni roulis. Certes, nous n’avançons en moyenne qu’à 4 nœuds et quelques mais nous retrouvons tous du plaisir à être en mer. Grâce à ces conditions plus confortables, les filles font pas mal d’école le matin et un peu l’après-midi pour Phoebé, histoire de finir la session avant l’arrivée en Guadeloupe et pouvoir profiter des vacances de Noël.
Comme il y a beaucoup moins d’algues nous remettons la ligne à l’eau en après-midi. Quelques heures plus tard, alors que nous sommes tous sur le pont avant en train de faire notre séance de sport, le fil part à toute vitesse. Branle-bas de combat: on sort épuisette, poignard, alcool à 90 degrés et on remonte l’hydrogénérateur pendant que Daphné et Claude se battent pour arriver à maîtriser le monstre. En guise de monstre, nous en avons 2 en fait !!! Nous ne remonterons que la tête d’un gros thon, le reste du corps ayant été happé par un prédateur bien plus gros, en seulement 2 bouchées dont nous avons été témoins lors de la remontée. Quel égoïsme ! La forme de la morsure, juste en arrière de la tête ne laisse pas de doutes sur l’identité du voleur de thon : un requin. On évitera de tomber à la mer en se lavant à l’arrière….Claude arrivera quand même à tirer environ 300 ou 400 grammes de viande pour le souper, alors qu’en général on jette la tête au complet quand on a les 4 ou 5 kilos de thon qui nous manquent aujourd’hui. Cette nuit nous passerons le jalon des 200 miles ! Ça commence à sentir l’arrivée !
Distance parcourue : 111 NM (4.63 nœuds)
Distance sur la route directe : 105 NM
Reste à parcourir : 245 NM
Mardi 15 Décembre : Jour 15
Cette nuit nous avons changé notre organisation des quarts car nous avons décidé de garder le spi la nuit, pas d’autre solution vu comment le vent est faible. Nous ferons les quarts à 2, par 4 heures. Ainsi, si un grain arrive et nécessite d’affaler le spi rapidement, nous serons plus réactifs. Le peu de chair que nous avons pu extraire de notre pauvre thon doublement assassiné était excellente. Dommage que le requin n’a pas été plus partageur. La nuit est très calme, le bateau roule peu sous spi et permet à ceux qui sont hors quarts de bien se reposer. Pour ceux qui sont dehors, c’est une nuit très claire avec encore un festival d’étoiles filantes, comme c’est le cas depuis 3 ou 4 jours. On peut en voir plusieurs par minute. Nous avons même vu plusieurs météorites, des grosses boules de feu de couleur jaune-verte qui se consument lentement dans le ciel. Au matin, c’est toujours le même scénario, le vent tombe en fin de nuit, puis reprend quand les nuages convectifs se multiplient dans le ciel. Aujourd’hui, nous avons réussi à enchaîner plusieurs nuages et à garder ainsi une belle vitesse qui nous a amené à 150 miles de l’arrivée à la mi-journée. Malheureusement, le vent nous laisse tomber dans l’après-midi comme c’est souvent le cas. Cette fois ci, cela sera fatal à notre spi qui, en se deventant, vient se prendre dans l’ancre à l’avant et se déchire à de nombreux endroits dans le bas. Quelle déception car c’est notre seul moteur dans ces conditions aussi légères. Nous remettons donc la grand-voile et le génois et tirons un bord pour rejoindre notre route. C’est peu efficace en terme de distance sur la route mais on avance ! Pendant que Charles barre d’une main de maître pour aller chercher de la vitesse, Daphné entreprend de faire des réparations de fortunes sur la voile abîmée. Nous ne sommes pas sûrs de pouvoir la réutiliser, en tout cas, on verra demain matin, lorsque le soleil sera levé. Pour le moment, nous essayons un nouveau système : les 2 voiles d’avant (génois et trinquette qui est comme un génois plus petit) en ciseaux. L’une est tenue par le tangon, l’autre par la bôme de la grand-voile que nous gardons affalée pour ne pas qu’elle claque. On ne va pas hyper vite mais ça fonctionne et nous avançons droit vers notre but, ou presque. Avec ces nouveaux évènements, nous évaluerons demain si nous pouvons arriver demain dans la journée ou le lendemain matin pour ne pas arriver de nuit. En tout cas, on a hâte d’arriver car même si les levers et couchers de soleil sont beaux sur la mer, on a hâte à autre chose !
Distance parcourue : 116 NM (4.83 nœuds)
Distance sur la route directe : 107 NM
Reste à parcourir : 138 NM
Mercredi 16 Décembre : Jour 16
Finalement, notre installation bizarroïde de voiles n’a pas fonctionné très longtemps pour de multiples raisons inintéressantes lorsqu’on n’est pas confronté à l’éternel dilemme de vitesse – cap – alignement avec la houle implacable.
Au final, nous garderons uniquement le génois tangonné pour la nuit, en avançant à vitesse réduite. Au moins la nuit était assez reposante. Au petit matin, le vent se lève. Nous hissons la grand-voile pour effectuer les 60 derniers miles qui nous séparent de Petite Terre ou nous souhaitons atterrir. Petite Terre est constituée de deux petites îles situées à l’Est de la Guadeloupe. L’accès n’y est possible que par mer calme car la passe est très profonde et la mer déferle rapidement sur la barrière de corail. Les conditions actuelles nous envisagent d’y atterrir. Ça fera une bonne transition après ces 2 semaines de vie d’ermite ! En outre, y aller à partir de la Guadeloupe n’est pas envisageable car Petite Terre est située exactement au vent de la Guadeloupe. Il faudrait donc y aller au moteur, contre la vague. L’arrivée se dessine pour aujourd’hui, même si c’est tard. Par contre, nous rêvons de manger frais et du poisson serait bienvenu : En effet, les algues ont à peu près disparues et nous permettre de mettre la ligne à l’eau pour une dernière tentative de pêche hauturière. En moins de 5 minutes, nous sortons un petit vivaneau, remettons la ligne à l’eau et attrapons une belle dorade. On remet à nouveau la ligne à l’eau et nous attrapons un autre vivaneau, un peu plus gros que le premier. 3 poissons en 15 minutes, c’est un record ! Nous goûtons la dorade crue, en ceviche, le midi. Nous voyons l’île de La Desirade depuis 11 h ce matin et peu de temps après, nous commençons à voir Grande Terre, Marie-Galante. Ça sent l’arrivée ! Depuis que nous sommes passés sous la barre des 100 miles nautiques à parcourir, les filles tiennent le décompte tous les 10 miles ! Avec le décalage horaire, le pointage des 14 heures s’est fait ce matin à 11 heures :
Distance parcourue : 103 NM (4.29 nœuds)
Distance sur la route directe : 89 NM
Reste à parcourir : 49 NM
Même si le vent est un peu plus soutenu aujourd’hui, nous arriverons de nuit à Petite Terre, ce qui constituera le dernier challenge de cette traversée …. Si jamais on voit que ça n’est pas prudent lorsque nous serons en approche, nous resterons en mer cette nuit, ce que personne ne souhaite. Si nous pouvons, nous resterons 2 ou 3 jours à Petite Terre pour relaxer avant d’arriver à Sainte Anne. Malgré la fin très lente, nous aurons quand même traversé en moins de 16 jours, ce qui est en bas de la moyenne. Qu’est-ce que ça aurait été avec du vent tout du long !! Depuis cet après-midi, les filles font le décompte tous les 5 miles ! Tout le monde commence à être excité d’arriver. Cependant, nous savons que l’entrée dans la passe de Petite-Terre de nuit constitue un challenge de taille et nous ne serons arrivés qu’une fois ancrés dans l’étroit lagon entre les 2 îles. Ironiquement, le vent monte à une quinzaine de nœuds vers la fin de l’après-midi, à la tombée de la nuit. Au moins, nous accélérons vers notre point d’arrivée. Nous devons contourner Petite-Terre avant d’emprunter la passe située au Sud. Malgré nos efforts, nous ne verrons jamais les feux jaunes qui entourent Petite-Terre et matérialisent la réserve marine. Pour nous aider dans l’approche, nous allumons le radar qui nous permettra de confirmer le trait de côte de la carte. Une personne sera postée à l’avant et balaiera le plan d’eau en avant de nous pour repérer d’éventuelles bouées ou autre danger. La présence d’innombrables casiers à langoustes à peine matérialisés par une bouteille d’eau transparent nous motive beaucoup à ne pas passer la nuit en mer. Finalement, vers 20 heures, nous sommes en avant de la passe, les alignements sont déterminés pour entrer dans le lagon. Le radar confirme le trait de côte de la carte et nous profitons de la mer très calme pour rentrer dans la passe sans encombre. Celle-ci ne dispose que de 2 mètres de fond, il faut donc que la mer soit bien calme pour y passer. C’est quand même impressionnant de rentrer dans un endroit inconnu si étroit et complètement plongé dans l’obscurité : Nous voyons le corail des 2 côtés du bateau dans le faisceau du projecteur que Charles tient à l’avant. Nous ne tentons pas notre chance trop loin et dès que nous sommes à l’abri, nous mouillons l’ancre dans une eau si transparente que nous voyons le fond avec le projecteur. Nous bloquons la barre, éteignons le moteur. Ça y est, nous sommes arrivés ! Nous avions demandé aux filles de se tenir très sages pendant l’arrivée pour ne pas ajouter de stress. Finalement, elles se sont endormies ! Phoebé se réveillera peu après pour célébrer avec nous mais Éléa est partie au pays des rêves.
Finalement, nous aurons traversé en 15 jours et 8 heures, parcouru 2151 miles nautiques, soit seulement 41 miles de plus que sur la route directe.
Les commentaires de l’équipage
Voici en quelques mots les impressions de chacun d’entre nous, suite à la traversée :
Daphné
Pour résumer en 2 mots à la manière directe et concise qui me caractérise souvent, je dirais: C’est long longtemps!
J’avoue que l’aspect le plus rébarbatif pour moi est le roulis incessant. Autant je suis peu sujette au mal de mer en navigation côtière, autant, en traversée, je n’ai pas encore échappé a un petit vomi dans les 2 premiers jours et l’estomac barbouillé pendant au moins 4 jours. Surtout, il n’y a jamais de répit ni pendant qu’on dort, qu’on prépare les repas ou qu’on fait la vaisselle où il faut toujours avoir au moins 4 mains: 2 pour la tâche, 1 pour se tenir et la dernière pour rattraper ce qui débarque autour. Pas facile tous les jours.
Sur une note positive, j’ai beaucoup apprécié que nous soyons 4 à se partager les quarts. Ça m’a permis d’arriver beaucoup moins fatiguée que lors des 2 précédentes traversées qui étaient pourtant moitié moins longues. Le sport sur le pont avant était aussi un merveilleux réhausseur de moral. Finalement, mon but à moi était d’arriver de l’autre côté et cela restera mon but pour les prochaines traversée je pense. Heureusement, pas avant dans 1 an!
Quelques statistiques anecdotiques: J’ai lu 1916 pages pendant ces 2 semaines (3/6 tomes des enfants de la terre). Nous avons aussi mangé des fruits et légumes frais tous les jours, mais il n’aurait pas fallu que cela dure plus longtemps…
Phoebé
Pendant la traversée, j’ai bien aimé quand le bateau allait vite et surtout avec la houle en arrière. Ma sœur et moi avons joué aux Legos plusieurs jours d’affilée. Un soir, je dormais et il y avait un cargo d’un côté et de l’autre un bateau de pêche. Le cargo a vu le pêcheur sur l’AIS mais pas nous, alors il nous a foncé dessus. Nous avons donc dû tourner et nous nous sommes retrouvés houle de travers (ce qui est très désagréable), alors ça m’a réveillé car j’Avais envie de vomir alors je suis sortie de la cabine pour aller dehors et j’ai vomi. C’était la première et seule fois que j’ai posé une galette pendant la traversée.
J’ai adoré l’anniversaire de Papi coquin (Claude) au plein milieu de l’océan. J’ai aimé regarder les étoiles et j’ai découvert une constellation que j’ai vue pendant la traversée, elle s’appelle Delphinius.
Charles
Une discussion entre bons amis a eu lieu il y a déjà 3 ans, tard le soir autour d’une bière et sur le nouvel étage d’une maison. Un sujet fort intéressant : un voyage en famille autour du monde en bateau à voile et un équipier pour une traversée de l’Atlantique ! Certainement, assurément, j’embarque. Le temps passe et finalement, en janvier dernier, c’est confirmé. Ça c’est finalement concrétisé par un rendez-vous à l’autre bout du Cap Vert (Sao Nicolau), en retrouvant la famille après 5 jours de voyage et 3 jours d’avion. J’ai passé une bonne semaine à naviguer dans l’archipel avec la famille pour retrouver une science lointaine. Ça faisait plus de 20 ans que je n’avais pas vraiment navigué en mer. Ce fut comme faire de la bicyclette, même pour le léger mal de mer 😉 Nous récupérons Claude le magicien (il répare n’importe quoi, c’est fou) à Mindelo, point de départ de la transat.
Le 1er décembre c’est le départ. Fébrile que ça commence enfin, c’est quand même une immense inconnue qui nous attend. Le vent est au rendez-vous et l’équipage fonctionne à merveille. Olivier nous apprends les particularités du bateau et le nécessaire pour être autonome pendant les quarts de nuits. Avec une houle de 2 m. et 15 nœuds de vent, les petits défis de la navigation sont au rendez-vous, mais tout va rondement. Le capitaine conduit bien le bateau et son équipage. Une fois habitué à dormir dans la houle avec 30 degré de gite, les « siestes » deviennent reposantes. Finalement, je découvre les alizées, ses nuages, ses grains et les nuits étoilées. La deuxième moitié fut un peu plus difficile sur le morale parce que le vent a grandement faiblit et la houle domine. Le compte à rebours ne progresse plus et la monotonie du paysage s’installe. Mais une chance que nous avions nos séances d’entrainement de pont, suivi de la douche. Le Korrigan Gym à 1050 miles des côtes, rien de mieux pour oublier tous vos tracas !
L’arrivée à Petite Terre fut un grand moment de bonheur après 15j 8h de traversée où le verre de rhum (du Havre !!!) fut bien apprécié. Il me reste quelques anecdotes qui me font bien sourire quand je repense à cette belle traversée parce que l’équipage était rodé : la chaussette de spi coincée dans 30 nœuds de vent, les requins qui nous volent notre thon, mouiller en pleine nuit et une sortie de lagon avec une vague de 4 m assis à la proue. Merci à la famille Rocher (et Korrigan) pour cette aventure.
Éléa
Éléa n’étant pas encore capable de nous écrire ses impressions, nous l’avons interviewée. Voici ce qu’il en ressort :
« J’ai bien aimé pouvoir jouer aux Legos Friends tout le temps. Pendant la traversée, j’aime le lever du soleil, regarder les étoiles la nuit et quand on attrape des poissons. J’aime bien regarder derrière quand le bateau va vite avec des grosses vagues derrière. J’étais contente de pouvoir passer du temps avec Papi. »
Nous lui avons demandé si elle s’était ennuyée ou si elle avait trouvé le temps long. A priori non, elle avait juste hâte d’arriver en Guadeloupe pour voir ses cousins/cousines.
Claude
Impensable auparavant, une traversée de l’océan ne m’aurait pas effleurée. À mon niveau de voile avec une coéquipière qui a besoin de voir un petit bout de côte au bout de 48 heures, seul du « nautitouriste » est envisageable. De plus, naviguer avec les siens sur un bateau sur lequel j’ai participé à la préparation, est une occasion exceptionnelle à ne pas manquer.
Arrivé au Cap Vert le dimanche 29 novembre, 24 heures de technique et départ le mardi vers 15 heures. La découverte du Cap Vert sera pour plus tard à deux, de belles randonnées nous y attendent. Nous avons rapidement perdu la vue la côte et à partir de ce moment, j’ai eu nettement l’impression que le temps s’arrêtait. J’étais parti pour au moins 17 au 20 jours. Plus de nouvelles, seuls (à 6 malgré tout) dans un grand voilier, minuscule point sur l’océan. Peu à peu, l’environnement étant toujours le même, notre espace devient plus grand. La vie quotidienne s’organise et chacun trouve une occupation. Phoebé, grande liseuse, et Eléa, adeptes inconditionnelles des Lego friends ont été patientes et adorables. Quelquefois j’ai aidé Phoebé à réviser les tables de multiplication et répondu à ses questions. Avec Eléa, j’ai écouté ses interminables récits d’Harry Potter. Je n’ai pas compris grand-chose mais l’encourageait : elle a une très bonne élocution pour son âge. Entre les quarts de 3 heures, repas et vaisselle terminée : jeux et sudoku sur la tablette, apprentissage par cœur des textes de Carmina Burana pour les spectacles de la chorale de février prochain. N’ayant pas connecté sur internet ma nouvelle liseuse Kobo , je n’ai pas pu m’en servir : dommage ! L’écoute de musique était aussi au programme et je n’ai regardé que. 2 ou 3 DVDs quand le pilote automatique, gros gourmand d’énergie en cas de forte houle, ne puisait pas trop dans les batteries. C’est normal qu’il soit prioritaire mais un peu frustrant. Côté ravissement des yeux, c’était un régal la nuit par temps clair de regarder les étoiles avant une multitude d’étoiles filantes qui sillonnaient le ciel de toute part et ceci pendant plusieurs nuits de suite. C’est la première fois que j’en voyais autant. A mi-parcours, quel bel anniversaire inoubliable pour mes 70 ans : merci pour les cadeaux et le gâteau. La nuit, j’ai pu aussi suivre les feux des cargos qui étaient signalés par l’AIS. Les magnifiques couchers et levers de soleil étaient aussi au programme à condition d’avoir l’appareil photo sous la main. La prise de plusieurs thons et dorades ont agrémenté la traversée et l’ordinaire. La chair de la dorade est excellente, surtout crue avec un filet de citron vert. Côté table à cartes, j’ai découvert la navigation centralisée sur l’ordinateur. C’est simple, très réactif, complet et en définitive rassurant. Un émetteur A I S pour signaler notre position serait « la cerise sur le gâteau ». Il ne faut pas en demander trop! La navigation constamment au portant par vent arrière voiles en ciseau a été une première. J’ai beaucoup appris sur le réglage des voiles et stabilité du bateau par rapport à la houle à cette allure. Reste à savoir si mon voilier réagirait aussi bien! Les navigations à venir nous le diront.
Charles, mon coéquipier de cabine , que je ne connaissais pas , est prévenant , très attentionné et très intéressant lors des discussions. Côté » travail » sa stature et sa forte personnalité en imposent. Connaissant bien la manœuvre, il se positionne comme étant le plus apte pour l’accomplir ou tout simplement pour m’éviter de déployer beaucoup d’efforts ce qui est louable ! Je n’ai pas pu faire preuve d’assez de discernement peut être mais j’aurais apprécié une proposition alternative égalitaire. Lorsque j’ai essayé de barrer sans pilote, les résultats n’étant pas excellents, il a avancé son quart d’une heure pour reprendre la barre! Nul n’est parfait, l’essentiel étant qu’une quelconque attitude ne vienne pas perturber l’esprit d’équipe qui a été plus fort que tout.
Daphné, agréable coéquipière passionnée mais peu bavarde était toujours très occupée dans la confection des bracelets, encore merci pour le bracelet de mon anniversaire. En équipe, ses explications sont souvent trop succinctes et demande un peu d’intuition pour comprendre. Sa maîtrise aux manœuvres et à la barre sont remarquables.
Le capitaine a été à la hauteur de la tâche à accomplir sans rien négliger dans les moindres détails, allant parfois jusqu’à projeter un scénario pessimiste et dramatiser quelque peu la situation. Pour ma part, je suis habitué et ne m’effraie pas quand la situation est entre de bonnes mains. Dans la famille, chacun à son niveau est toujours apte, dans un calme quelquefois relatif, à réagir promptement en adoptant la solution la plus adéquate, Globalement ça me rassure ou me conforte dans la décision prise.
La mise « en quarantaine » à Petite terre a été une bonne initiative et nous a permis de découvrir des îlets sans habitants, mis à part les hordes de touristes. Magnifique souvenir! Très belle et inoubliable traversée ! Considérée par mon entourage comme un exploit, mais il faut rester modeste surtout au milieu de la mer. Personnellement, c’est une expérience très riche que beaucoup pourrait effectuer, il suffit d’adhérer au projet.
Olivier
Je rêvais de traverser un océan à la voile depuis longtemps. Pas forcément pour l’aspect voile, mais pour vivre cette étrange parenthèse hors du temps et de la société ou pour savourer l’idée de se déplacer incognito sur une aussi grande distance, sans utiliser aucune autre source d’énergie que celle de la mer et du vent, en ne laissant derrière nous qu’un éphémère sillage. Une fois passé la période d’adaptation des premiers jours, j’ai pu profiter pleinement de cette expérience. En effet, les premiers jours sont étranges. Même si nous progressions rapidement, j’avais du mal à me faire à l’idée que nous devrions vivre ainsi pendant deux semaines. Ensuite, le rythme s’établit, le temps s’étire et devient élastique en fonction des activités et moments de la journée. Finalement, je trouvais que les journées passaient vite : Déjeuner, bricolage, école, sport le matin, sieste et lecture l’après-midi, le tout entrecoupé de quelques manœuvres, séances d’écriture, de navigation ou de communication par Iridium. Les journées se remplissent vite. Être quatre en quart a amené un réel confort qui m’a évité d’arriver surfatigué. En ne faisant qu’un quart par nuit, je ne trouvais pas le rythme fatigant. Le seul point sombre de la traversée a été pour moi le petit temps que nous avons rencontré pendant le dernier tiers de la traversée. En effet, je ne supporte pas quand le gréement claque et que le bateau (et ses occupants) se font malmenés sur la mer, faute de vent. Cela oblige à faire de nombreuses manœuvres sans pour autant bien avancer et le repos est difficile à l’intérieur. Mes plus belles images restent les beaux surfs dans la houle, les levers de soleil grandioses sous les nuages de grains et les heures méditatives de la nuit, seul sous les étoiles.
Très bel article. Bravo pour cette transat. Profitez bien des Caraïbes!
Coucou à tous et félicitations pour cette traversée. Il semble que vous avez tous été formidables. Merci de nous avoir fait partager tous ces moments. Pour certains, les lire me suffisent amplement 😉
Bonne continuation
Bises