Nous quittons notre mouillage vers 8 h du matin pour une navigation d’une bonne vingtaine de miles et nous voulons nous assurer d’arriver à la mi-journée pour avoir une bonne lumière. Nous prenons de plus en plus l’habitude de naviguer tôt. Nous quittons notre mouillage en repartant sur notre trace, la houle est toujours aussi forte et remontons face au vent et à la houle afin de nous éloigner suffisamment de l’île. Nous partons ensuite à la voile, au près et passons à proximité de la petite île d’Iguana dont la silhouette, ébouriffée de palmiers, est identique à celle que l’on voit sur les bouteilles de Malibu. Nous remontons ainsi le long de la côte, dont les collines sont toujours aussi chargées de nuages. Le vent n’est pas bien fort, mais suffisant pour nous faire avancer à 5 noeuds environ. Passée la Punta del Moskito, dont le nom ne donne pas envie de s’y arrêter, nous longeons une petite île abritant un village Kuna, Kwitupu, avant d’abattre vers Mamitupu. Nos cartes semblent être suffisamment précises et les profondeurs correspondent. Heureusement car nous devons souvent passer entre des hauts-fonds et notre trajectoire doit être assez précise. Nous arrivons à Mamitupu vers midi et demie. Les récifs qui la protègent sont assez visibles et nous ancrons à proximité de la pointe Sud de l’île, dans une eau, certes un peu moins boueuse que celle d’Isla Pinos, mais ça n’est pas encore du bleu turquoise et translucide! Par contre, l’île semble superbe, avec une belle cocoteraie au Sud, le reste de l’île étant occupé par le village d’environ 2500 habitants. Cela signifie qu’il y a environ 150 huttes traditionnelles. Ici aussi, la lumière me fascine. Elle est beaucoup moins crue en pleine journée que dans les Antilles, certainement grâce aux nuages qui s’accumulent sur le continent et la diffuse avec plus de douceur. Un vieux monsieur Kuna nous aborde avec sa pirogue, nous propose des mollas, les tissus traditionnels faits par les femmes Kunas selon une technique d’appliqué inversé très fine. On comprendra aussi, au petit carnet de reçus tout détrempé qu’il nous tend, que nous devons nous acquitter d’une taxe de mouillage de 10 dollars. En fin d’après-midi, nous partons vers l’île pour une première découverte. Heureusement, nous sommes ancrés très proche car le moteur retombe en panne. Cette fois-ci, je vais être bon pour un nettoyage complet du carburateur….Rebelote. En arrivant à la rame, nous sommes accueillis par Pablo et son petit-fils. Très gentil, il nous souhaite la bienvenue et nous fait visiter ses petits bungalows dans lesquels il accueille des touristes. Ce sont des huttes Kuna traditionnelles, très mignonnes et disposées dans un beau jardin. Ici aussi, comme à Pinos, le sol est tapissé d’un beau gros gazon épais. Il nous emmène ensuite à travers le village où nous découvrons les petits commerces, l’immense hutte du Congresso (assemblée traditionnelle des villageois) et finalement la maison familiale de Pablo. Nous y sommes accueillis par sa mère, très âgée et d’autres membres de sa famille, probablement ses sœurs et leurs enfants, petits-enfants. Elles semblent très contentes de nous voir, nous assoient manu militari sur des chaises en plastique qu’elles courent chercher à droite et à gauche et l’une s’empare rapidement d’Éléa, fascinée par ses cheveux blonds. Elles sont, comme, les autres villageois(e)s que nous croiserons sur le chemin du retour, fascinées par les filles, Éléa pour ses cheveux super blonds et Phoebé pour sa taille à 10 ans. Il faut dire que les Kunas sont très petits, seulement surpassés dans ce record par les Pygmées. Après avoir passé un peu de temps dans la famille de Pablo, nous continuons notre visite. Tous les gens que nous croisons sont très souriants et nous échangent tous quelques mots. Certaines femmes nous proposent leurs mollas. Nous rentrons au bateau, heureux de notre premier contact avec les Kunas. Ça finit bien l’année. Ce soir, nous fêtons assez calmement la nouvelle année, en nous remémorant les bons moments passés pendant cette année dans les Antilles. Nous décidons d’ores et déjà de passer un peu plus de temps que prévu ici pour côtoyer un peu plus longtemps cette culture ancestrale rendue accessible par la gentillesse des villageois. Le soir du 1er Janvier, nous retournons au village, achetons du pain, passons dire bonjour à la famille de Pablo où se répète le même scénario: Accueil avec un grand sourire, assis manu militari sur des chaises, kidnapping d’Éléa et les mêmes questions, principalement quels sont les noms et âges des
enfants. Nous sommes venus à terre avec un ballon de football que nous traînons avec nous depuis le départ, sans jamais s’en servir. Vu le talent des jeunes ici et l’état de leurs ballons, je décide de leur faire don du nôtre. Cette idée tombe à point: Nous arrivons sur le terrain de sport du village au début de la finale du tournoi annuel de football !! Nous voilà installés sur l’estrade, présentés à tous. Bientôt arrive le seul villageois qui parle un peu Anglais et nous pouvons communiquer un peu plus facilement. Peu après, l’arbitre interrompt le match pour une pause et me voilà sur le terrain pour la remise officielle du ballon aux deux équipes dont tous les membres se précipitent sur moi pour me serrer chaleureusement la main. Pendant que le match se déroule et que nous discutons avec notre interprète, les filles sont prises d’assaut par des dizaines d’enfants qui veulent jouer avec elles. Elles commencent à leur montrer des jeux de main et c’est bientôt une joyeuse cohue autour d’elles. Sacrée ambiance, les gamins sont surexcités ! Dès la fin du match, nous retraversons le village, avec des dizaines d’enfants à nos trousses qui sont littéralement accrochés à Phoebé et disparaissent par grappe à la limite de chaque quartier. Quelle expérience ! Je suis tellement content pour les filles (et pour nous) de pouvoir vivre ce genre de rencontres avec des gens qui vivent, littéralement, à des millénaires de nous.
Le lendemain, nous faisons connaissance de Michel, un français arrivé au Panama en voilier il y a 15 ans et qui s’est passionné pour la culture Kuna. Il est ici comme guide pour 2 touristes français venus passer quelques jours à Mamitupu. Michel nous donne son eBook sur la culture Kuna que vous pouvez télécharger ici. Je vous engage vivement à le parcourir pour mieux connaître cette culture que je ne saurai décrire aussi bien que lui. En outre, les photos étant proscrites ici, vous pourrez y découvrir les visages des femmes Kunas ainsi que les mollas qu’elles cousent. Cette fois-ci, ce sont les filles qui viennent avec des petits cadeaux pour les enfants, principalement des barrettes, élastiques ou serre-têtes. Les petites Kunas sont ravies et s’emparent des petits cadeaux avec un grand sourire timide aux lèvres, avant de se réfugier derrière leurs mamans. La fille de Pablo communique plus avec nous. Elle a une fille du même âge que Phoebé et est touchée par le geste. En échange, elle nous offre un petit molla qu’a fait sa fille de 10 ans. Elle nous propose de revenir le lendemain pour qu’Éléa et Phoebé viennent jouer avec elle. Nous revenons donc le lendemain, mais avant d’aller jouer avec les petits Kunas, Phoebé donne un petit concert de guitare à la famille de Pablo. Je lui ai suggéré cela pour pimenter nos visites, nos interactions étant limitées par la langue. Au moins, la musique est universelle. Voici quelques images de ce qui est peut-être le premier (et le dernier ?) concert d’un artiste Canadien en territoire Kuna !
Pour changer du village, nous allons faire une promenade à terre, sur le continent, vers où nous voyons chaque matin partir les hommes en pirogue. Ils vont y ramasser des cocos et s’occuper de leur lopin de terre. À la mi-journée, lorsqu’ils reviennent vers le village, un ou plusieurs d’entre eux s’arrêtent au bateau pour discuter avec nous ou nous vendre quelques légumes. Lorsque nous mettons le pied à terre sur la côte, nous sommes effarés par la quantité de déchets en plastique qui jonchent la plage. C’est un tapis continu de plastique, surtout des bouteilles. Nous réaliserons dans les jours suivants que, même si les alizés poussent de nombreux débris à travers la mer des Caraïbes jusqu’ici, les Kunas sont aussi responsables d’une grande partie de la pollution. Nous les voyons jeter à l’eau, sans vergogne, bouteilles, sacs etc. Il faut dire qu’ils ne disposent d’aucun moyen pour gérer les déchets et aucune éduction ne semble être faite en ce sens. Le seul usage qu’ils font des déchets en plastique est de les utiliser pour combler les terrains que la mer grignote sur leur île, à cause de la montée des eaux. Nous apprenons d’ailleurs que certaines îles ont déjà été désertées à cause de ce phénomène et que, à ce rythme, la majorité des villages Kunas sur les îles auront disparus dans quelques dizaines d’années. Que deviendront-ils ? Difficile de répondre à cette question quand nos dirigeants politiques sont incapables de se décider à lutter contre les changements climatiques. Une fois encore, je me sens impuissant et coupable face aux effets de notre société sur la nature.
En attendant, celle-ci nous gâte ici, comme avec ces ballets de dauphins à quelques centaines de mètres du bateau, le matin. Les Kunas, ignorant probablement le triste sort qui les attend, condamnés par la modernité et la montée des eaux, continuent à vivre dans le plus grand respect de leurs traditions ancestrales. En l’occurrence, une fête doit avoir lieu ici dans les prochains jours, fête au cours de laquelle tous les villageois sont conviés à boire la chicha fuerte, alcool léger de canne à sucre, mélangé à du café moulu et des épices, selon une recette propre à chaque village, à son chamane et son « chimiste ». Cette fête, une des rares fêtes communautaires chez les Kunas prend lieu à chaque fois qu’une jeune fille du village à ses premières règles. En tout cas, tout le monde semble bien exciter à l’idée de boire la chicha fuerte dans les prochains jours. Buvant peu d’alcool et par leur gabarit, les Kunas, hommes et femmes, sont rapidement saouls lors de ces fêtes. Nous aurions pu participer aux festivités à condition de boire cul sec le fameux breuvage mais nous attendrons malheureusement plusieurs jours en vain. Il semble que la fermentation prenne plus de temps que prévu et tous les jours, on nous annonce la fête pour le lendemain ! Étnt déjà à Mamitupu depuis une semaine, nous abandonnons l’idée. De plus, nous quitterons d’ailleurs sur une petite déception: Pablo nous avait promis de nous emmener à une cascade sur le continent, mais un des chefs du village a refusé. En effet, le sentier qui s’y rend passe à travers le cimetière du village, situé le long des berges du fleuve avoisinant et aucun étranger n’y est admis. Pourtant, quelques jours auparavant, il y a emmené les touristes français, probablement à l’insu des chefs…business oblige.
Quelques jours avant de partir, nous sommes rejoints par un autre voilier, un petit monocoque Suisse aperçu à Bonaire. Nous passerons de bons moments avec leurs propriétaires, Thomas et Gabrielle, couple dans la cinquantaine, qui navigue avec beaucoup de simplicité et un bel esprit de voyage. Eux descendent vers la Colombie et terminent leur séjour aux San Blas. Nous échangeront donc des informations sur nos prochaines destinations respectives autour de bonnes bières fraîches (quel luxe !!) achetées au village. Nous repartons de Mamitupu le 6 Janvier au matin, avec une coque bien propre, après avoir plongé quasiment tous les jours pour la nettoyer. Par contre, toujours pas de progrès du côté du dessalinisateur, malgré quelques heures de fonctionnement supplémentaires avec différents réglages, l’eau reste toujours un peu salée. À suivre….
Lien vers le livre électronique de Michel Lecumberry sur les Kunas: Les iles San Blas – Michel Lecumberry
Laisser un commentaire