Traversée et découverte de l’île
Nous quittons Hiva Oa et notre mouillage agité vers 3 heures du matin, après quelques bonnes heures de repos. Charles-Henri semble déjà être parti plus tôt pendant la nuit. Avec un vent bien soutenu sur le travers, les 55 miles que nous devons parcourir seront vite avalés à plus de 6 nœuds de moyenne, véritable baptême du feu pour notre nouvelle grand-voile. L’arrivée sur Ua Huka sera néanmoins sportive car une série de grains longeant l’île nous accueille avec des rafales à 30 nœuds. Le mouillage de Vaipaee vers lequel nous nous dirigeons est surnommé « La baie invisible » car son entrée n’est qu’une étroite ouverture dans les falaises côtières et n’est visible que sous un certain angle. Entre la mer, assez forte, qui se fracasse sur les falaises hérissées de récifs et les rafales à 30 nœuds en travers de l’entrée, il vaut mieux être concentré et ne pas rater son coup… Une fois dans l’étroite baie, nous ne sommes pas sortis d’affaire car seul le fond de la baie est assez large pour mouiller mais il est peu profond et le fond réputé de mauvaise tenue. Nous ancrons à proximité de Minh et, après quelques petits dérapages, nous ne sommes plus qu’à une dizaine de mètres du point de déferlement des vagues sur la plage. Chaud, chaud….On mouillera à nouveau avant la nuit pour se sentir plus en sécurité, alors que je devrai aussi aider Charles-Henri à remonter une ancre secondaire bloquée dans un immense bloc de roche. Bref, encore un mouillage typiquement Marquisien, où l’on bouge beaucoup et dort peu.
Heureusement, si le mouillage est à la hauteur de la réputation Marquisienne en la matière, l’accueil des locaux et la beauté de l’île n’ont pas non plus failli à leur réputation. Cependant, Ua Huka est un peu particulière pour 2 raisons :
Premièrement, par opposition à ses sœurs hérissées de hautes montagnes, Ua Huka est une île haute sur l’eau et ne présentant que des montagnes de taille moyenne. Probablement que cela est aussi la raison pour laquelle l’île est beaucoup plus aride. Ici, pas de cascades et de grosses forêts luxuriantes même si il y a toujours beaucoup d’arbres et de fleurs.
Deuxièmement, Ua Huka est l’île la plus à l’Ouest des Marquises du Nord. Elle se retrouve donc au vent de Nuku Hiva, la capitale des Marquises et donc en dehors des routes habituelles des bateaux. Il n’y a pas non plus de navettes régulières vers Nuku Hiva. Cela rend l’île plus isolée et les bateaux de passage moins communs pour les locaux.
Si les villages Marquisiens ne sont jamais sur le bord de mer, celui de Vaipaee est carrément à 1.5 kilomètre. Même si la promenade est jolie car on a l’impression de marcher dans un jardin sur cette route qui longe la rivière et des jardins fleuris, nous serons bien contents de nous faire prendre en stop de temps en temps sur ce trajet que nous effectuons quotidiennement. En visitant les épiceries, on prend assez rapidement nos marques : Les denrées que l’on trouve peuvent conditionner la durée du séjour et surtout, on peut se renseigner auprès des locaux. On apprend ainsi qu’il y a sur l’île un très beau site traditionnel, construit récemment à l’occasion du festival artistique des Marquises qui se tient sur une île différente tous les 2 ans. En plus du site et du musée, il semble que quelqu’un y enseigne la sculpture à plein temps. Parfait! On va pouvoir s’essayer : Je rêve de manier la disqueuse pour essayer de faire un Tiki en bois, alors que Daphné est plus attirée par le travail de gravure sur bois avec des gouges.
Le lendemain, en compagnie de Charles-Henri, nous nous rendons donc au Site en alternant marche à pied et auto-stop. Ici, tout le monde s’arrête et nous prend. Il faut dire que l’île ne compte que 700 habitants environ, répartis sur 3 villages. L’auto-stop fait donc partie du quotidien. Comme ici quasiment tout le monde a un pick-up, on peut se faire prendre à 5 personnes sans problème… tant que le gendarme de Nuku Hiva n’est pas sur l’île! Le Site est situé sur un plateau surplombant la mer, à mi-distance entre les 2 villages et à côté de l’aérodrome. La vue sur la mer et les montagnes est grandiose et ce cadre crée un environnement parfait pour les majestueuses constructions Marquisiennes en bois et palmes dont chaque poteau est sculpté en Tiki.
Nous commençons par la visite du musée qui présente une collection très impressionnante d’objets traditionnels reproduits à l’occasion du festival par les artistes locaux. Les Tikis géants, en bois ou en pierre côtoient les fines sagaies en bois de Tohu, incroyablement ciselées… et acérées. Nous montons ensuite à l’atelier où nous faisons connaissance de Jean-Baptiste, un jeune artiste talentueux d’une trentaine d’années qui donne des cours de sculpture. L’initiative est récente et nous sommes les premiers étrangers à faire cette démarche. L’atelier est richement équipé en outils électroportatifs de qualité et en gouges ou ciseaux à bois. Ils possèdent même une mini-turbine (comme celle d’un dentiste) pour la gravure sur os. Nous prenons rendez-vous pour le lendemain matin pour débuter notre projet. Nous y rencontrons aussi Nestor, le maire d’Ua Huka. Homme d’une cinquantaine d’années, toujours souriant et plein d’humour, il semble faire l’unanimité chez les villageois à qui nous avons parlé et est définitivement passionné par l’art Marquisien : Il a mis en place plusieurs ateliers de sculpture où des employés municipaux reproduisent des objets marquisiens historiques. La population entière est même conviée à continuer à faire vivre l’art traditionnel à travers un concours qui aura lieu dans quelques semaines : Les femmes doivent reproduire une œuvre gravée sur une coco alors que les hommes doivent fabriquer un énorme tambour revêtu d’une peau de chèvre. En ce moment, tout le monde travaille à finaliser son œuvre pour gagner le gros prix de 500 euros! Nous bavardons beaucoup avec le maire et apprenons foule de choses sur l’île lorsqu’il nous ramène au village.
Dans les jours suivants, nous aurons la chance de passer une demi-journée complète avec lui, à se faire balader à travers toute l’île : Nous faisions du stop dans le village alors qu’il repartait de la mairie au volant d’un minibus climatisé flambant neuf, « le véhicule du peuple » selon Nestor. En route, nous trouverons l’équipage de « El Caracol », famille portugaise que nous avions déjà aperçue dans les Caraïbes. Nous voilà un groupe de 10 personnes en visite guidée de l’île par rien de moins que Monsieur le maire, qui semble ravi de la tournure que prend sa journée! Nous pourrons ainsi découvrir les 2 autres villages de l’île. Nous hésiterons d’ailleurs à changer de mouillage et venir dans la large baie de Hané, charmant village qui présente l’avantage d’avoir un atelier de sculpture juste derrière la plage. Nous y sommes accueillis par 2 bonhommes aussi souriants que gentils, eux aussi, sculpteurs municipaux. Ils nous parlent d’un voileux qui a passé 4 ou 5 mois avec eux l’an passé pendant la saison cyclonique à venir sculpter avec eux chaque matin. À ce moment, nous rêvons avec Daphné de revenir passer la saison cyclonique ici. Malheureusement, le mouillage est de qualité Marquisienne (…) et les filles ne se plaisent pas autant que nous ici…loin de leurs amis en ce moment à Nuku Hiva.
À la recherche d’un meilleur mouillage lorsque la houle commença à nous chahuter quelque peu à Vaipaee, nous sommes allés passer une journée dans une baie située non loin de là, présentant une belle plage et potentiellement mieux abritée de la houle. En effet, celle-ci est située derrière l’ilot Teuaua (l’île aux oiseaux), île plate sur laquelle nichent des sternes dont les locaux ramassent les œufs lorsque ceux-ci viennent à manquer à l’épicerie en attendant le prochain bateau. L’île coupe bien la mer et, lorsque celle-ci est mauvaise et interdit l’accès à la baie de Vaipaee, le cargo ravitailleur vient s’ancrer derrière cette île. Les marchandises sont alors amenées sur l’île principale à l’aide de grosses barges. Un pécheur avec lequel nous avons sympathisé nous donne un seau d’œufs de sternes. Étonnamment, le blanc reste assez translucide et le jaune est très orange, voire rose. Nous les apprécierons mais constaterons aussi qu’il faut les consommer très rapidement…
Malheureusement, la plage, aussi belle qu’elle puisse être, est infestée de nonos, ces minuscules mouches qui arrachent un petit bout de peau et dont la morsure irrite pendant des jours et des jours. Insupportable. Comme la houle ne nous épargne pas non plus complètement, nous retournons avant la nuit dans la baie de Vaipaee, à temps pour pouvoir assister demain matin à la messe dominicale. Les messes marquisiennes sont souvent accompagnées de chants aux accents polynésiens, si ce n’est d’ukulélé et percussions. Nous n’aurons droit qu’aux chants mais la messe sera dite en Marquisien, ce qui rendit cette première expérience religieuse encore plus nébuleuse (et ennuyeuse) pour les filles! Ce dimanche étant aussi le jour de la finale du tournoi de foot à 5, nous nous joignons à l’évènement pour passer le rester de la journée. L’ambiance est bon enfant et le barbecue délicieux. Au nombre d’équipes qui s’affrontent, il semble que tout le monde en forme physique correcte joue au foot, homme comme femme. Cette fois-ci par le sport, nous sommes à nouveau impressionnés à quel point les communautés marquisiennes sont actives. Le moment le plus drôle de cette journée reste le séchage du terrain après un grain avec une souffleuse à feuilles. Décidément, la mairie ne recule devant aucun gadget pour garder ses citoyens heureux!
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Initiation à la sculpture
Nous réaliserons tous deux notre premier projet de sculpture / gravure sur bois en 2 journées de travail. Nous sommes à pied d’œuvre le matin à 8 heures. En fonction de nos projets, Jean-Baptiste prépare des morceaux de bois, en bois de rose pour Daphné et les filles, en Tohu pour moi. Nous avons à notre disposition un étonnant dictionnaire des tatouages marquisiens, livre qui catalogue les symboles marquisiens et leur signification. Daphné s’en servira beaucoup pour réaliser un grand dessous de plat gravé à la gouge. L’apprentissage de l’outil nécessite évidemment beaucoup de patience et de temps, les bouts de doigt faisant douloureusement les frais des dérapages! Daphné et ses doigts de fées s’en sortent très bien, quasiment seule.
Quant à moi, j’aurai besoin de beaucoup plus d’aide de la part de Jean-Baptiste pour transformer un rondin de bois coupé à la tronçonneuse en un Tiki éléphant, porte-chance des pécheurs marquisiens, qui tombe à l’eau là où se trouve le poisson et se retrouve miraculeusement à terre selon la tradition lorsque le valeureux pécheur revient au port. Revenons à la fabrication du Tiki : Après avoir coupé et équarri un tronçon de Tohu, Nous le rabotons afin d’obtenir bloc rectangulaire aux faces bien planes et parallèles. Je laisse ensuite l’artiste dessiner les traits de coupe qui donneront forme au Tiki. Le plus gros est fait à la scie à ruban avant d’attaquer la sculpture proprement dite à la disqueuse. Selon la même technique que celle utilisée par le sculpteur de Fatu Hiva pour réaliser notre Bao, la disqueuse est équipée d’un disque souple en mousse dense sur lequel est fixé un disque abrasif. Pour toutes les étapes, je laisserai d’abord Jean-Baptiste faire une première moitié pour apprendre les gestes et avoir une référence avant de me lancer. L’artiste fignole et égalise le travail pour obtenir un résultat étonnant en si peu de temps. Au fur et à mesure, nous utilisons du papier de grain de plus en plus fin, jusqu’au lustrage final qui se fait à la cire et un disque doux. Pendant ce temps, les filles aussi s’initient avec joie à cette activité. Phoebé fabrique un cadeau pour son ami Maya dont l’anniversaire approche.
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Ces 2 journées seront aussi l’occasion de bien sympathiser avec Jean-Baptiste et son beau-frère, lui aussi talentueux sculpteur et ainsi mieux comprendre leur mode vie sur cette île isolée. Il y a beaucoup d’animaux semi-sauvages sur l’île, chèvres, vaches, cochons et même des chevaux. Les premiers sont chassés et partagés. C’est une ressource inépuisable vue la taille de la population. La récolte du coprah, la pèche ou encore le ramassage des œufs de sterne sont autant d’activités complémentaires pour nourrir la famille….et s’acheter un beau pick-up comme il y en a devant chaque maison. Par contre, ces véhicules semblent inusables ici et de nombreux camions Toyota dépassent largement les 30 ans. On apprend aussi qu’il y a sur l’île un centre de formation pour les adolescents qui ne veulent ou ne peuvent pas quitter l’île pour poursuivre leurs études à Nuku Hiva puis Tahiti. Par exemple, les garçons y apprennent la mécanique, l’agriculture, la pèche, la chasse et la sculpture. Ces formations permettent ainsi de garder des jeunes sur l’île tout en conservant leur mode de vie traditionnelle. En parlant avec les jeunes et les moins jeunes, on se rend compte que tous ont appris la sculpture de leur père ou oncle. Avec l’énergie et les moyens que la mairie met pour développer les arts, il n’est donc pas étonnant de voir autant de talents dans cette petite communauté pour laquelle le maire travaille fort afin qu’Ua Huka soit reconnue comme l’île des sculpteurs. Outre la sculpture sur bois, os et pierre comme on a déjà vu sur les autres îles, nous découvrons aussi le gravage sur cocos, pratiqués par les femmes : Les cocos sont ramassées vertes puis débarrassées à l’intérieur de leur pulpe et à l’extérieur de leur fibre. Une fois poncée, le bois de la coco est bien blanc et assez tendre pour être gravé à la gouge après qu’il ait été teinté en noir afin de mieux découper les motifs. Nous repartons de Ua Huka la tête pleine d’idées de projets, inspirés par cette île de sculpteurs.
J’ai appris ce qu’etait le coprah, et je trouve les sculpture tres Joli.
Bravo aux sculpteur en herbe qui ont fait des oeuvres de pro – comme d’habitude 🙂 . Felicitation.