Les mouillages des Tuamotus sont paradisiaques, tant pour l’équipage que pour le bateau. Avec des fonds sableux peu profonds, une eau cristalline, une protection complète contre la houle et finalement du soleil et du vent en masse pour recharger les batteries, les mouillages des atolls sont idéaux. Cependant, il y a quelques embûches à éviter avant de goûter au nirvana du mouillage sans souci. Outre la météo qu’il faut toujours avoir à l’œil, comme partout, les complexités de la navigation sont reliées aux marées, pour entrer et sortir du lagon et au corail qui le peuple, pour y circuler ou y ancrer.
Les passes et les marées
Comme expliqué dans l’article précédent, les passes présentent des conditions de navigation souvent très turbulentes, du fait du gros volume d’eau qui y passe. Il faut donc faire preuve d’une attention particulière pour y naviguer. Les 3 principaux paramètres à prendre en compte sont la physionomie de la passe, le courant de marée et les conditions de houle et de vent. Dans une passe, le courant crée une mer désordonnée et d’énormes tourbillons que l’on surnomme marmites et dans lesquelles le bateau est peu manœuvrant.
Tout d’abord, il faut observer les cartes, marine ou satellite, de l’atoll pour estimer la difficulté d’une passe : Si celle-ci est large et profonde, le courant y sera moins violent que dans une passe étroite où le débit est plus important. D’autre part, si l’atoll présente une barrière de corail basse, en particulier sur les côtes exposées au vent et à la houle (façade Sud et Est), il y aura beaucoup d’entrées d’eau à ce niveau et donc plus d’eau à évacuer par la passe. Ce phénomène peut aller jusqu’à compenser les courants de marée, si bien qu’il peut ne jamais avoir de courant rentrant dans la passe à marée montante. L’amplitude du phénomène dépend principalement des conditions de houle et de vent sur les portions les plus basses de la barrière de corail. Par exemple, si le Maramu, souffle depuis plusieurs jours, les courants dans les passes des atolls ouverts sur le Sud ne seront plus régis par ce phénomène que par la marée.
Cependant, le paramètre qui semble le plus prévisible reste l’horaire des marées. Celui-ci permet de déterminer les heures auxquelles les marées s’inversent et donc les courants aussi. Il n’existe aux Tuamotus qu’une seule station hydrographique donnant les heures de marée et elle est située à Rangiroa, au Nord-Est de l’archipel. On sait en outre que la marée à l’atoll de Hao, situé beaucoup plus à l’Ouest, est 1 heure avant celle de Rangiroa. Il reste alors à faire une règle de 3 sur la longitude pour obtenir l’horaire de marée au point où l’on se situe. Pour faciliter ce calcul rébarbatif, que l’on doit refaire maintes fois, j’ai créé un petit fichier Excel qui fait le travail à notre place. Il suffit de rentrer une date, sélectionner la passe de départ et celle d’arrivée et on obtient les horaires des marées pour les 3 prochains jours. Ce fichier est téléchargeable ici. Pour rentrer dans les meilleures conditions, l’expérience montre qu’il faut se présenter devant la passe dans la première heure du courant qui nous favorise : En d’autres termes, pour rentrer dans l’atoll, se présenter dans l’heure qui suit la marée basse et pendant laquelle le courant rentrant commence mais n’est pas très fort. Inversement, on sortira de l’atoll au début de la marée descendante. Nous prenions toujours un peu de marge, en arrivant un peu plus tôt, quitte à faire des ronds dans l’eau pour éviter de se retrouver dans un courant trop fort si la bascule de courant s’est faite plus tôt que prévu. En observant fréquemment les eaux de la passe aux jumelles pendant l’attente, on se rend vite compte de l’état des courants.
Les conditions de vent et de houle sont les facteurs changeants les plus importants à prendre en compte selon l’orientation de la passe. En effet les conditions à éviter sont celles où le courant de marée va contre la direction du vent ou de la houle. Ces conditions peuvent lever des vagues pyramidales très hautes et dangereuses. Le vent dominant étant de secteur Est à Sud, il faut donc être très vigilant à ce facteur pour les passes situées sur les côtes Est et Sud des atolls.
Pour résumer, il suffit de naviguer dans des périodes calmes et se présenter devant les passes aux heures de bascule de marée. Dans notre cas, comme nous souhaitions profiter des périodes de vent bien établi pour la pratique du kite, ces conditions nous convenaient parfaitement. Pour conclure sur le sujet, une excellente source d’information est toujours le pécheur local qui saura nous indiquer où se placer dans la passe pour ne pas trop se faire brasser. De manière générale, nous essayons toujours de franchir les passes sur les côtés, évitant ainsi le plus gros du courant, comme illustré sur la photo ci-contre montrant la passe de Toau. La zone en pointillés orange délimite la zone de turbulences (visibles sur la photo satellite) alors que la flèche verte indique le passage conseillé. À noter que même si l’on passe sur les côtés de la passe, il est toujours important de se présenter face à elle.
La navigation inter-atolls
Jadis surnommé l’archipel dangereux du fait que les atolls, très bas sur l’eau, prenaient souvent les marins par surprise alors que peu ou pas de cartes de la région n’existait. Poussés par la houle et le vent, les bateaux finissaient alors déchiquetés sur la barrière de corail, monstre invisible, tapi juste sous la surface de la mer. De nos jours, à l’ère de la navigation électronique où se positionner sur une carte n’est plus un enjeu, la navigation est bien plus aisée. N’oublions pas non plus que nos bateaux sont désormais équipés de moteur qui permet de se sortir de situations difficiles ou de rentrer dans les passes contre le vent. Néanmoins, chaque année, plusieurs bateaux finissent par s’échouer sur la barrière de corail. Il faut donc rester vigilant, garder un œil critique sur l’électronique et respecter les règles du jeu pour franchir les passes en toute sécurité.
Pour nous, le plus gros challenge, s’il en est un, fut de temporiser les navigations. En effet, étant contraints dans nos horaires de départ, pour sortir au bon moment de l’atoll que l’on quitte, et dans notre heure d’arrivée pour rentrer dans l’atoll de destination, les navigations entre atolls furent plutôt lentes et peu excitantes. Ainsi, nous sortions souvent par la marée de la mi-journée, passions l’après-midi et la nuit en mer pour se présenter devant la passe à la première marée entrante. Avec que quelques dizaines de miles à parcourir, nous devions souvent tenir des moyennes ridicules, 2,5 à 4 nœuds pour ne pas arriver trop tôt.
La navigation dans les atolls
Vous l’aurez compris, les atolls sont des champs de mines de pinacles entre lesquels il faut slalomer. Les principes sont exactement ceux que je décrivais dans l’article Navigation en eaux coralliennes, la navigation se fait à vue en utilisant les différences de couleur de l’eau, amplifiées par les lunettes de soleil polarisées. Comme on le voit sur la photo ci-contre, Les obstacles sont nombreux mais les différences de profondeur étant importantes, ils sont généralement bien visibles. Si on a un doute, on privilégiera la navigation à marée basse qui dévoile les pinacles à fleur d’eau.
Nous utilisons les images satellite importées dans notre logiciel de navigation pour tracer une première route à travers les zones de moindre densité de corail. Ensuite, lorsque nous naviguons, il y a toujours une vigie à l’avant qui indique les patates au barreur. On essaye toujours de trouver sur l’eau les patates vues sur l’image satellite. Le point faible des images satellites est la présence de nuages au moment de la prise de vue. Parfois, cela les rend inutilisables. Au final, lorsque le soleil est bien haut et les nuages peu nombreux, il suffit d’être vigilant et la navigation est sans risque et même très plaisante lorsqu’on la fait tranquillement sous génois seul. Cela se corse lorsque la lumière est blafarde, le corail apparaît alors plus marron et devient difficile à distinguer, en particulier lorsque le sommet du pinacle est à plus de 50 centimètres sous l’eau. Ainsi, selon les conditions de lumière, on peut faire la navigation soit seul et relax, soit à 3 personnes bien vigilantes.
Les fermes perlières constituent le second danger lorsque l’on navigue dans les lagons des Tuamotus. L’archipel est le principal fournisseur de perles de Polynésie. Il y a donc de grandes fermes qui utilisent d’énormes étendues d’eau. On voit des champs de bouées à la surface de l’eau qui sont reliées à des corps-morts et surtout, des câbles sous-marins horizontaux sur lesquels les sacs d’huitres sont accrochés. Les cartes mentionnent parfois les fermes perlières mais sans forcément les localiser. Il faut glaner l’information dans les guides, ou plus simplement, au village en arrivant dans l’atoll. Par manque de vigilance, assoupie par une belle navigation tranquille, nous nous sommes retrouvés une fois au milieu d’un champ d’huîtres perlières dans l’atoll de Fakarava. En restant bien parallèles aux câbles horizontaux que l’on distingue à moins de 2 mètres sous la surface. Comme les conditions le permettaient, nous avons choisi de rester à la voile, au cas où un câble se serait trouvé sur la trajectoire de l’hélice…
Le mouillage
Très souvent, les abords des motus sont hérissés de patates de corail ou pas assez profonds pour y mouiller. Il y a heureusement des exceptions. Une fois de plus, on peut faire un tri en utilisant les images satellites, si celles-ci sont de bonne résolution. Parfois, comme à Toau, on a la chance de pouvoir mouiller dans une superbe piscine de sable (grande étendue de fond sableux sans corail) avec moins de 2 mètres d’eau. Il va de soi que, ici, un faible tirant d’eau est un atout considérable. Cependant, dans la majorité des cas, il faut se résoudre à devoir ancrer au milieu des patates. Pour éviter les enroulements de chaîne autour des patates, il faut faire flotter à mi- eau la chaîne de l’ancre. Il faut trouver un endroit où étaler 5 à 7 mètres de chaîne sur le sable puis accrocher des bouées de ferme perlière que l’on aura pris soin de récolter sur les côtes au vent des atolls où elles s’échouent. Les plus communes ayant une flottabilité de 15kg, il faut en mettre environ aux 7 mètres sur une chaîne de 10mm. J’ai utilisé en général 2 ou 3 bouées dont j’ajuste la position après avoir fait une reconnaissance en apnée. Les bouées ne garantissent rien mais améliorent largement la situation. Daphné a déjà plongé en bouteilles pendant 25 minutes pour dégager la chaîne de Maïa, serrée autour de la base d’une grosse patate.
Dans certains cas, comme à Hirifa où les abords du motu sont sableux, nous avons pu nous avancer assez proche du motu et ainsi étaler 40 ou 50 mètres de chaîne dans 2 mètres d’eau. C’était l’abri idéal contre le Mara’amu. À ce sujet, il est important de se tenir fréquemment au courant de la météo car les coups de Mara’amu peuvent être violents. Il ne faut pas se retrouver, à ce moment, au Nord du lagon. Dans les grands atolls comme Fakarava ou Makemo, le fetch est important et la vague rend les mouillages du Nord ou Ouest intenables. Il faut donc veiller à descendre au Sud lorsqu’il en est encore temps. Il nous est arrivé que le Mara’amu ne baisse pas sous 20 nœuds pendant plus de 2 semaines.
pédagogique, intéressant … comme les précédents articles ! Bravo et bonne continuation !!!