Aux Tuamotus, il ne faut pas compter sur les épiceries locales pour satisfaire à tous nos besoins alimentaires. Nous l’avions anticipé en chargeant au maximum les cales de Korrigan au départ du Panama. En effet, l’achalandage des magasins d’alimentation est tout d’abord très dépendant du délai depuis le dernier passage de la goélette qui ravitaille l’atoll mais aussi… du contenu de ses cales. Si les produits secs ou en boîte ne manquent pas et sont de bonne qualité, il n’en est pas de même des produits frais. Comme aux Marquises, il faut bien souvent se contenter de pommes de terre, oignons, carottes et choux. Parfois, si on est chanceux, on peut avoir de mauvaises tomates et quelques aubergines ou courgettes. Les fruits sont encore plus rares: On ne trouve aucun fruit local dans les épiceries, uniquement des fruits importés de Nouvelle-Zélande ou des États-Unis. Il faut donc chercher un peu plus loin et essayer de dénicher des légumes cultivés localement, comme chez les maraîchers de Fakarava. Ici encore, il ne faut pas s’attendre à une grande abondance. En faisant les courses pour 2 ou 3 bateaux, nous dévalisions souvent tout ce qui était mûr et vendable. Les Paumotus cultivent beaucoup les blettes (Pota en Polynésien) et nous avons pu redécouvrir ce légume et trouver maintes façons de l’apprêter. À part ces quelques légumes, seuls les œufs sont de provenance locale.
Par-dessus le marché, les villages sont rarement situés à proximité des mouillages agréables et bien protégés. Dans ce contexte, pas étonnant que nous ayons été à l’affût d’autres moyens de subsistance que le lagon et les motus peuvent offrir. C’est au fil des rencontres avec des Paumotus ou des voyageurs connaissant déjà les Tuamotus que nous avons appris à en exploiter les ressources.
La noix de coco
Le cocotier est la principale ressource naturelle des atolls. Poussant naturellement sur les motus ou cultivés en cocoteraies, il y en a sur tous les motus. Si les Polynésiens l’exploitent principalement pour le copra (coco séchée destinée à faire l’huile de coco), on peut tirer avantage de toutes les parties de cet arbre : Les palmes peuvent être tressées pour la fabrication des toits de maison, de tapis ou de paniers par exemple. Les fibres entourant les noix de coco ou celles que l’on trouve le long des troncs peuvent être tressées et tissées. Ici, elles sont encore utilisées dans la fabrication de costumes traditionnels. La coque de la noix de coco est transformée en charbon de bois et le bois-même de l’arbre est aussi utilisé dans la construction.
Outre ces utilisations non-alimentaires, la coco peut être utilisée sous différentes formes. Évidemment, tout le monde connaît l’eau de coco, cette eau sucrée que contiennent les cocos vertes. Ce liquide est très désaltérant, riche en sucre, graisses et minéraux. Tout ce qu’il faut pour remettre sur pied un naufragé ou bien nous désaltérer entre 2 sessions de kite. Cette délicieuse eau est livrée par dame Nature dans un contenant qui la rend facile à conserver et transporter : Il suffit de la débarrasser à la machette de son écorce verte et ne garder que la coco, encore blanche. On prendra soin de garder sur le dessus assez de fibres pour faire un bouchon que l’on enlèvera au moment de consommer, libérant ainsi les 3 trous de germination de la coco. À ce stade, ils ne sont pas encore fermés et il suffit d’y glisser une paille pour boire.
C’est sous forme de lait de coco que les Polynésiens consomment le plus la coco. On l’obtient en pressant dans un linge la chair de coco préalablement râpée. On utilise pour cela des cocos à maturité, que l’on trouve à terre, l’écorce brune. La chair est très dure et on peut oublier la râpe à fromage si on ne veut pas y passer des heures. Les Polynésiens utilisent un grattoir circulaire, dont le manche est fixé à une planche. On s’assoit sur la planche et on gratte l’intérieur de la coco dont la chair râpée tombe dans un petit panier que l’on aura préalablement tressé dans une palme de cocotier (ça marche aussi avec un bol Tupperware).
Le pressage requiert une solide poigne mais permet d’obtenir un lait riche et savoureux. On peut l’utiliser de multiples façons comme pour faire cuire les légumes, poissons ou encore bénitiers. Les Polynésiens l’utilisent aussi pour faire des petits pains sucrés ainsi que des beignets appelés firi-firi. Le firi firi est fait avec une sorte de pâte à beignets dans laquelle le liquide est remplacé par le lait de coco. C’est délicieux il ne faut pas avoir peur du gras! Quant aux pains au coco, c’est la même recette que celle du pain dans laquelle l’eau est remplacée par du lait de coco et on ajoute un peu de sucre. Les petits pains sont ensuite cuits sur un feu de noix et palmes de coco. On les pose sur des feuilles avant de les mettre sur la grille. Ainsi, ils ne grillent pas et sont faciles à retourner. Au bateau, on les cuit dans une poêle avec un couvercle.
Une autre recette polynésienne de pain utilise la coco germée, comme celle que l’on voit sur l’entête de l’article. La chair qui recouvrait auparavant l’intérieur de la noix s’est alors transformée en une boule spongieuse et grasse qui remplit entièrement la noix. Il faut que les racines aient commencé à pousser, mais pas trop, et que la noix présente un feuillage de 30 à 50 cm. Si la plante a déjà commencé à se nourrir par les racines, cette matière pourrit et donne un liquide dont l’odeur fétide et tenace défie n’importe quelle fosse septique. Gare aux éclaboussures quand on donne le coup de machette pour l’ouvrir! Lorsqu’on tient le bon candidat, il faut essayer de récupérer la coco germée le plus proprement possible lorsqu’on l’ouvre car si on la lave, elle absorbe beaucoup d’eau. Pour commencer la pâte, on la mélange avec de la levure de boulanger et du sucre. On ajoute ensuite la farine en grande quantité car la coco absorbe énormément. On forme des petits pains que l’on cuit comme dans la recette précédente.
Les pousses de cocotier
Les cocotiers recèlent encore un autre trésor, leur cœur, lorsqu’ils sont encore jeunes. Il faut apprendre à évaluer la taille de la pousse à couper: Trop grand, il n’y a plus de chair tendre, trop petit, il n’y en a vraiment pas beaucoup. En effet, dans le meilleur des cas, on va obtenir un bâton de 20 cm et le contenu du bulbe situé à la base de l’arbre. Il faut donc être vigilant à bien choisir la plante que l’on prélève car c’est déjà une grande plante pour la quantité de nourriture que l’on en retire. On choisit celles qui n’ont pas de chance de bien se développer comme par exemple, celles qui poussent collées à un cocotier mature ou au milieu d’un bosquet de repousses de cocotiers. Évidemment, on ne prélève d’ailleurs les cœurs de cocotiers que sur les motus sauvages.
Les cœurs de cocotier sont un peu croquants avec un goût légèrement sucré. C’est un véritable délice tel quel ou en salade, émincé finement. C’est très bon, plein de bonnes choses mais c’est beaucoup de travail.
Le crabe de cocotier, le Kaveu
Les Kaveus, même si on les appelle crabes de cocotiers, sont en fait des bernards l’ermite géants. Jeunes, ils s’abritent dans une coquille mais en grandissant, leur carapace devient très épaisse et robuste et ils peuvent alors se passer d’un abri. Ils peuvent monter dans les cocotiers jusqu’à 10 mètres pour décrocher des cocos avec leurs puissantes pinces. Ils arrachent ensuite patiemment toute la fibre. Comme ils sont très sensibles aux odeurs, on les attire pour les chasser en ouvrant des cocos que l’on dispose un peu en hauteur. Comme le kaveu est malhabile pour descendre, il restera manger tant qu’il y a de la nourriture. On pose les pièges en fin de journée et on revient pendant la soirée ou la nuit pour faire le tour des pièges. Il faut être correctement équipé car on les trouve au cœur de la végétation des motus, dense de buissons, lianes, arbres tombés, palmes de cocotiers, etc. On s’habillait donc en habit long, chaussures fermées et armés d’une bonne lampe et d’un gros filet pour transporter nos prises. Parfois, nous en avons trouvé, non pas dans nos pièges, mais dans les fourrés, en balayant consciencieusement avec la torche tous les enchevêtrements de branches et racines autour de nous. On les voit assez facilement avec la teinte bleue de leur carapace.
On les ébouillante et cuit comme des crabes mais il faut disposer d’un chaudron assez gros ! La chair est délicieuse et surpasse selon moi celle du crabe et de la langouste car la coco dont ils se nourrissent parfume délicatement la chair. Les Polynésiens utilisent comme sauce une sorte de liquide brun trouvé dans une poche de l’abdomen. Faut oser, ne pas penser à Indiana Jones, mais il faut avouer que c’est pas mal…
La chasse sous-marine
Le lagon recèle de ressources comestibles. Comme rien n’est parfait dans ce bas monde, il existe dans la majorité des lagons du Pacifique une toxine qui donne la ciguatera. Présente dans des micro-algues se développant sur le corail mort, cette toxine s’accumule dans les poissons tout au long de la chaîne alimentaire, rendant certains d’entre eux impropres à la consommation. Si la majorité des lagons du Pacifique Sud en sont affectés, la situation est différente dans chaque atoll : À Makemo, par exemple, aucune espèce n’est réputée contaminée alors qu’à Apataki, par contre, aucune espèce ne peut être consommée. En réalité, le niveau de contamination est même différent selon les zones d’un même atoll. Nous l’avons appris à nos dépends à Toau : Alors que les loches marbrées (mérous comme sur la photo ci-contre)) que nous avons mangé au Sud pour l’anniversaire de Phoebé n’étaient pas contaminées, celles chassées à proximité de la passe l’étaient. Outre la fatigue générale, les maux de tête et de ventre, les principaux symptômes sont neurologiques : Démangeaisons, douleurs articulaires, picotement dans les extrémités, la langue, les lèvres, sensation de brûlure dans l’eau. Beau programme, non ? Ces symptômes durent plusieurs semaines et il n’y a pas de remède à part la prise d’une décoction de feuille de Tohonu, arbre que l’on trouve partout en Polynésie sur le bord de l’eau.
Lorsqu’on veut chasser, il faut donc bien se renseigner et demander aux locaux lorsque possible : Toau, où nous avons été intoxiqués, est inhabité. En général, ce sont les loches marbrées, les poissons perroquets, les rougets, poissons chèvres que l’on peut manger. J’ai découvert la chasse sous-marine avec Jorge, d’El Carracol. Nous avons un fusil à bord depuis 2 ans, mais sans aucune base, je ne m’étais que rarement essayé. Il faut dire qu’ici, l’environnement sous-marin est tellement beau que l’on peut passer des heures la tête sous l’eau. Je m’habitue peu à peu à approcher les poissons, à les repérer, j’apprends à descendre discrètement, à augmenter ma capacité pulmonaire. Il y a encore autre chose à apprendre ici si on ne veut pas rentrer bredouille: Ne pas se faire voler son poisson par un requin. Cela m’est arrivé quelques fois à mes débuts, observant un ou plusieurs squales se bataillant ma prise, 3 mètres sous mes palmes. Pour éviter cela, il faut rattraper le fil dès le tir effectué, pendant la remontée. On sort alors la flèche de l’eau, tenant le poisson coincé entre l’émerillon et le gant. Les requins viendront, certes, mais tourneront désemparés, certains qu’il s’est passé un crime ici, mais incapables de trouver la victime. Si le tir est « propre » et le poisson ne s’est pas débattu, les requins arriveront moins rapidement. Dans certains coins, comme au sud de Fakarava, il faut être à 2 pour pouvoir chasser : L’assistant confirme au chasseur, au fond et prêt à tirer, qu’il n’y a pas de requin. Il peut aussi tenir les requins à distance avec une flèche lorsque le chasseur remonte la proie. Frissons garantis. Heureusement, il n’y a pas autant de requins partout. Ailleurs, nous respections la règle suivante: Changer de spot de chasse dès qu’on a tué un poisson. Les requins arrivent tôt (souvent) ou tard et viendront gâcher le plaisir.
Nous avons ainsi mangé beaucoup de mérou (loche marbrée) pendant toute cette période : En sauce à la tomate au four, en « fish cake », en filets marinés et grillés au barbecue. Autant dire que l’arrêt subit de la chasse suite à la ciguatera changea profondément notre alimentation et sa diversité. Heureusement, c’était plutôt vers la fin de notre séjour aux Tuamotus.
Si on ne veut pas risquer la ciguatera, il reste d’autres espèces marines: Les bénitiers, les poulpes, les langoustes. Ces dernières sont, de loin, les plus difficiles à attraper dans les Tuamotus: On les chasse sur le platier, uniquement par nuit noire. Il faut marcher des heures, de nuit, dans l’eau à mi-jambe, en essayant repérer une paire d’yeux. On les attrape alors à la main. Je n’en ai jamais vu une lors de mes tentatives.
Les bénitiers sont aussi consommés en Polynésie. Ce sont de gros coquillages qui se développent dans le massif de corail. J’ignore encore comment ils font pour grossir, mais ils sont toujours incrustés dans des massifs de coraux. Ils sont très beaux, avec leurs lèvres bleues, vertes, roses, marrons, mauves, etc. On ne prélève que les plus gros, au moins 12 cm, en utilisant un tournevis avec lequel on essaye de briser le pied. Les Polynésiens les mangent cru ou cuisinés au lait de coco.
Les pécheurs locaux vont surtout en mer pour y pécher des thons, mahi-mahis, thazards ou carangues. Les chasseurs sous-marins chevronnés pourront aussi attraper de telles proies en chassant dans les passes ou à proximité.
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