Sillages croisés
Les voyages en bateau ne sont pas seulement des histoires de mer, de découvertes d’îles lointaines, mais aussi de belles pages d’amitié qui s’écrivent au fil des mouillages et des rencontres que l’on y fait. Parfois c’est le hasard, comme à l’îlet Gosier en Guadeloupe, où notre ancre a dérapé pendant un grain et nous tombions, au sens propre, sur « Maïa » ancré derrière nous. En Colombie, c’est à la VHF que j’ai fait la connaissance de Charles-Henri.
Alors que les mouillages isolés facilitent les rencontres vu le faible nombre de bateaux qu’on y trouve, celles-ci sont plus difficiles dans les grands mouillages plus impersonnels. Cependant, les enfants sont à l’aguet et ont vite fait de repérer les bateaux avec enfants, ainsi que la langue parlées à bord grâce au pavillon du bateau. Au début du voyage, nous portions aussi un petit pavillon français dans le mât pour montrer que nous étions francophones, malgré notre drapeau canadien. Les filles n’hésitaient alors pas à se lancer à la nage ou en body board à la rencontre de nouveaux amis potentiels. Cependant, ce n’est pas tout de faire des rencontres, il faut rester ensemble pour que les relations se développent. À certains endroits comme Tahiti, le Marin (Martinique), Grenade ou Saint-Martin, des bateaux restent des mois voire des années, pour travailler ou mettre les enfants à l’école. Une vie de quartier s’installe alors dans le mouillage, avec un réseau social sur la VHF et, finalement, une vie similaire à la vie terrestre. Nous profitons temporairement de cette vie sociale mais, pour nous, qui voyageons en continu, il faut que les trajets et rythmes de voyage concordent pour que de réelles relations naissent. Pour le rythme, les extrêmes se côtoient avec aussi bien des familles qui voyagent rapidement car parties pour seulement un an ou 18 mois (tour de l’Atlantique ou un quasi-tour du monde) que des gens qui vivent en bateau indéfiniment et passent plusieurs mois voire plusieurs années dans la même région. Les activités favorites du bord façonnent aussi l’itinéraire et augmentent les affinités entre les parents. Les amateurs de plongée se retrouvent alors sur les sites de plongée, les kiteurs ou planchistes sur les spots ventés, les surfeurs proches de meilleures vagues, les chasseurs sous-marins dans les atolls les plus poissonneux, etc. Des groupes de bateaux se créent alors, formant de petites tribus qui vivent et se déplacent ensemble pendant quelques temps. C’est ainsi que « Korrigan », « Maïa », « El Caracol » et « L’Avenir », réunis autour des enfants et du kite, ont formé ce que j’ai surnommé « The Windkids Tribe », ou « La Tribu des enfants (et) du vent ». Cette belle histoire va plus loin que trouver des amis aux enfants et partager des journées ventées.
Les Enfants
Les enfants sont très autonomes et gèrent leurs journées… une fois l’école terminée ou autres tâches accomplies. Évidemment, toute cette belle organisation se fait sur la VHF. Ce sont les enfants qui s’en servent le plus à bord. « Did you finish school? Did you finish washing the dishes?». On a entendu ces questions des dizaines et des dizaines de fois, suivies en général de longues prises de décision sur quoi faire et quel bateau aller. Il reste ensuite à s’organiser avec les annexes pour se déplacer sans que les parents soient bloqués à bord. La fin justifiant les moyens, les enfants se responsabilisent face à l’école ou les tâches du bord pour pouvoir passer plus de temps avec leurs amis. À Hirifa où le spot de kite était un peu éloigné du mouillage, elles se débrouillaient souvent seules pour le lunch, que Phoebé préparait pour elle, sa sœur et souvent Émilie. Élea a aussi montré qu’à 7 ans, elles pouvaient se faire un petit repas froid toute seule. Pour les déplacements, les enfants conduisent seuls une annexe à 10 ans environ. Cela permet d’avoir une première expérience tôt de la conduite d’un engin motorisé et d’en appréhender les risques. Évidemment, cela est beaucoup moins dangereux sur l’eau que sur la route, mais il faut connaître et appliquer les règles de sécurité, comme le port du bracelet coupe-circuit, savoir accoster à un quai ou un bateau, etc. Au final, ils méritent leur autonomie en se rendant responsables. Les filles se sont toujours montrées dignes de confiance aussi bien dans le milieu sauvage des Tuamotus qu’à Tahiti, en milieu urbain. Outre ces aspects de responsabilité et d’autonomie, ces groupes d’enfants de langues différentes leur font faire beaucoup de progrès en langues étrangères. Ainsi, au contact d’Éléa et Phoebé, Émilie a énormément amélioré son anglais et même son français. Quant à Phoebé, elle s’est passionnée un temps pour l’Hébreu et a ainsi appris les bases de cette langue complètement nouvelle dont elle connaît désormais plus d’une centaine de mots.
En général, les enfants se tiennent en 2 groupes, les adolescents et les plus jeunes, 7 à 10 ans. Pour ces derniers, les Lego restent l’activité d’intérieur favorite lorsqu’ils ne passent pas leurs journées dans l’eau autour des bateaux ou sur la plage du motu. Si les motus déserts offrent de nombreuses possibilités de jeux, celui d’Hirifa à Fakarava était habité et a fait le bonheur des enfants. En effet, les propriétaires avaient pleins de petits cochons avec lesquels Éléa et Émilie adoraient jouer. Des petits chats sont nés aussi peu après notre arrivée et elles les ont vu grandir et joué avec pendant presque 2 mois. Les propriétaires de ce petit resto de plage étaient rarement présents, la garde des lieux étant confiée à Geck, l’homme à tout faire. Il s’est montré très gentil avec les enfants, à qui il offrait des cocos fraîches à volonté toute l’après-midi. Il leur a aussi installé une balançoire sous un cocotier sur la plage. Dans un tel environnement, nous pouvons faire nos activités l’esprit tranquille. Cette gestion autonome est, de plus, très bonne pour leur apprendre à décider de groupe, gérer des conflits, etc. sans l’arbitrage d’un adulte. Si les ados préfèrent faire leurs activités dans leur coin, comme notamment regarder des films ou séries en fin de journée, certaines activités se font tous ensemble : Le camping sur les motus, par exemple, ou encore des activités de pâte à sel, coloriage ou fabrication de petits biscuits à bord de El Caracol. L’initiation à la planche à voile ou jouer avec le petit kite d’entraînement des Maïas sont aussi des activités qui réunissent tous les enfants sur la plage. Petit à petit, adultes et enfants se regroupent pour les sessions de kite avec maintenant 3 d’entre eux qui pratiquent le kite (Maya, Yan et Phoebé). Du coup, les autres suivent souvent et cela fait un beau groupe pour encourager (ou rire) de ceux qui sont sur l’eau. Souvent, ils se joignent à nous pour la chasse aux coquillages sur le platier ou les filles participent aux sessions de macramé. Lorsque nous faisons des repas en groupe ou « Potluck », les enfants mangent de leur côté, souvent dans le carré ou carrément sur un autre bateau, pour le grand bonheur de nos oreilles !
Après les Tuamotus, nous avons retrouvés nos amis à plusieurs reprises à Tahiti et Moorea. Les enfants reprennent rapidement leurs habitudes la vie de groupe reprend. Cependant, à Tahiti, le contexte est différent et un peu plus stressant pour les parents car Le mouillage est énorme avec beaucoup de trafic sur l’eau et à terre, c’est la voie rapide et le centre commercial Carrefour ! À terre, ils ont accès à la marina Taina, sécurisée où on les laisse se promener. Les grands vont aussi seuls jusqu’au centre commercial voisin ou la mairie où l’internet est illimité (= aimant puissant pour ados !). Ce n’est pas dans cet environnement où ils ont les activités les plus saines. Plusieurs fois, nous avons quitté Tahiti pour Moorea afin de retrouver un mode de vie de mouillage offrant plus d’activités aux enfants.
Les Photos
Halloween avant l’heure
Parmi les rituels qui leurs sont chers, le « sleep over » est quasiment sacré, surtout chez les plus jeunes. Dans cette lignée, ils ont vite réalisé que les impératifs de tous et chacun nous sépareraient et nous pousseraient hors des Tuamotus avant la fin du mois d’Octobre. Rapidement, un Halloween anticipé s’organise. Tous les enfants se trouveront des déguisements à bord d’un bateau ou d’un autre, redoublant d’ingéniosité. Ils se maquillent entre eux et s’organisent une belle fête sur El Caracol …mais sans bonbons ! Phoebé compensera avec des muffins au chocolat glacés jaune et vert. Cette fois-ci, pas de couvre-feu et tout le monde dormira sur El Caracol après une belle soirée à laquelle les adultes seront conviés uniquement pour prendre les photos des déguisements.
Les Photos
Et les adultes, dans tout ça ?
Cette vie de groupe est aussi très plaisante pour les adultes car les relations se développent plus rapidement et facilement qu’à terre, souvent sous le signe de l’échange et du partage. Si les liens se créent autour des activités favorites, comme les sports de glisse dans notre cas, chacun apporte au groupe ses connaissances, savoir-faire ou ses passions qu’il souhaite partager. C’est ainsi que Jorge m’a initié à la chasse sous-marine à Makemo et c’est depuis devenu une passion pour moi. À mon tour, avec Laurent, nous l’avons initié au kite qu’il privilégie désormais à la planche à voile. J’ai troqué avec lui mon ancien kite contre du matériel de pêche car il est bien meilleur pécheur que moi. Daphné a su partager son savoir-faire en macramé avec Michal et Cat qui, à leur tour, sont devenues « accros » et ont amené leurs idées créatives. Je ne parle pas non plus des centaines d’heures que j’ai pu passer avec Laurent à jouer au Backgammon autour d’une bonne bière fraîche après une bonne session de kite ou de nos belles sessions musicales à la guitare et Ukulélé avec Laurent, Michal et Daphné. Tout cela se fait naturellement, sans les mêmes contraintes ou obligations que l’on se crée dans notre vie terrestre. D’ailleurs, depuis que nous voyageons, nous avons une vie sociale bien plus riche que celle que nous avions à terre, contrairement à ce que certains pourraient penser. En effet, on a beaucoup plus de disponibilité (Qui a le temps de faire de nouvelles rencontres dans une vie remplie à ras bord par le travail, les enfants et le rythme de fous qui va avec ?) et les prétextes aux rencontres sont plus nombreux, que ce soit pour partager une activité ou s’entraider à régler un problème que nos bateaux nous gardent toujours en réserve. Qu’il s’agisse des loisirs, des bons moments, mais aussi des tâches quotidiennes et des galères ou encore d’un gros poisson qu’on a péché ou un régime de bananes que l’on s’est fait donner, on partage. Ce n’est pas nouveau que la solidarité naît souvent dans la précarité (certes relative dans notre cas). De plus, on rencontre en bateau des gens de tout horizon, culture et âge, ce qui crée d’autant plus de richesse dans ces relations. Ainsi, nous avons dans nos amis de bateau des gens qui ont aussi bien 20 ans de moins que 20 ans de plus. Les barrières sociales disparaissant et ne sachant jamais pendant combien de temps nous allons voyager ensemble, nous vivons ces moments pleinement, sans attente, à part l’espoir caché de se retrouver par hasard sur un autre mouillage, dans une semaine, un mois ou un an. C’est au hasard de ces retrouvailles que nous avons dit au-revoir maintes fois à certains ou que, sans vraiment d’organisation ou de planification, nous avons fait des fêtes d’anniversaires avec une vingtaine de personnes. Malheureusement, il y a un moment où le rythme ou la prochaine destination éloignent nos sillages et les départs se font avec une boule dans la gorge. Mais, tant que la terre sera ronde et les voyageurs voyageront, les retrouvailles et rencontres resteront possibles.
Magnifique texte ! Continuez de profiter à fond comme vous le faîtes ! Il est fort votre projet !
Texte très intéressant sur l’aspect social de votre grande aventure. Cela me permettra de répondre aux nombreuses questions de Gaby et Jeremy. Les enfants aiment bien voir des photos de vos filles.
Éliza
Superbes photos de votre joie de vivre .
C’est tellement incroyable d’avoir la chance de vous suivre (de vous lire ;-). C’est impressionnant de voir comment vos filles sont matures et de voir comment elles se développent, se transforment et s’enrichissent. Vous êtes franchement inspirant. Ce ne doit surement pas être facile à tous les jours j’en suis certaine mais…quelle expérience! Je me demande comment va se passer votre retour, même si ce n’est pas pour tout de suite. J’imagine que vous allez trouver le moyen de continuer d’être heureux et apprécier chaque petite chose de la vie.
Soyez heureux, vous nous rendez heureux 😉
Véro