Traversée Beveridge Reef-Tonga (3 Août au 7 Août 2018)
Nous levons l’ancre à 10 heures du matin et la traversée du lagon se fait sans encombre. La passe sera par contre beaucoup plus « rock’n roll » avec un fort courant contre un peu de houle contraire qui lève de grosses vagues pyramidales nous secouant dans tous les sens. Une fenêtre du carré était restée entrouverte et la cuisine se retrouve bien rincée à l’eau de mer. Il y a des choses qu on ne semble ne jamais apprendre ! Nous restons le plus possible sur le côté et sortons dès que possible du courant. Elle est dans notre top 3 des pires que nous avons empruntées. Certainement pas la bonne heure. Une fois sortis, nous continuons au moteur, le vent ne semblant pas se présenter comme le prévoyait la météo la veille. Le peu que nous avons ne vient d’ailleurs pas de la bonne direction. Je reprends une météo et celle-ci a drastiquement changé pour un scénario bien moins favorable à notre navigation : Après la pétole, le vent tournera progressivement au Nord-Est puis il s’établira ensuite plein Ouest, à 20 Nœuds pour plusieurs jours. Pour nous, cela signifie que le vent nous arrive en plein dans le nez, nous interdisant l’accès à l’archipel de Vava’u notre destination prévue. Ça commence bien !
Pour le moment, pas d’autre choix que de faire du « motor-sailing », utilisant le moteur pour créer du vent apparent et ainsi avancer à la voile. Si le vent se renforce quelque peu à la tombée du jour, il faudra attendre 22 heures pour pouvoir éteindre complètement le moteur. Pffff, ça fait du bien aux oreilles! Je peux enfin profiter des deux dernières heures de mon quart pour entendre le bateau glisser sereinement au travers- bon plein sur une jolie mer. Le reste de la nuit et matinée se passe sans encombre, toujours sous la même allure. Nous traversons un petit front en fin de matinée, obligeant à réduire plusieurs fois la voilure sous la pluie et dans une mer devenant de moins en moins confortable. Nous voilà encore secoués au près mais nous avançons toujours dans une direction acceptable. Dans l’après-midi, au beau milieu de ma sieste, l’anémomètre monte rapidement à plus de 35 nœuds avec un changement brusque de direction. L’anémomètre en perd les pédales, le pilote aussi et je viens rapidement au renfort de Daphné. Nous prenons un deuxième ris et remplaçons le génois par la trinquette. Le vent est maintenant établi dans les 25 nœuds. Dans cette mer hachée et un vent à peine assez fort pour cette voile très plate, nous faisons une VMG (vitesse vers notre destination) de 2 nœuds. Les prévisions restant les mêmes pour 5 jours au moins, il me faut rapidement trouver un plan B. Celui-ci s’appelle Niuatoputapu, une petite île que j’avais repérée en parcourant un de nos guides et situé à une centaine de miles au nord de Vava’u, notre destination initiale. Le lagon a l’air propice au mouillage et bien protégé de la houle du Sud qui sévit en ce moment. Son entrée semble facile et s’y rendre ne nous rallonge « que » d’une centaine de miles. Cette destination présente l’avantage de pouvoir s’y rendre sur un seul bord, sans trop serrer le vent et donc à une allure asse rapide. En attendant, une mauvaise nuit nous attend, nous avançons peu et le bateau est inconfortable. Daphné devra virer de bord pendant la nuit car notre cap, de plus en plus désastreux nous amène sur les côtes de Niue, île voisine. Nous revenons quasiment sur nos traces pour le reste de la nuit avant que, au lever du soleil, je change la trinquette pour le génois, enroulé au maximum du raisonnable. Maintenant que nous avons dépassé l’île de Niue, nous serrons désormais moins le vent pour aller vers Niuatoputapu et nous allons vite, même si la mer n’est pas très confortable. Dans ces conditions penchées, cuisiner, faire la vaisselle ou autres tâches de la vie de tous les jours devient acrobatique. Malgré tout, nous nous faisons de bons repas, comme des burgers végétariens avec des galettes de lentilles, des pizzas ou encore le traditionnel pain chaud du matin. Nous continuons ainsi sous cette allure pendant 48 heures, avec la majorité des journées assez tranquilles, avec un vent constant tandis que les deux nuits ont présenté leur lot de nuages et de grains, faisant varier le vent de 5 à 25 nœuds. Sans lune, c’est très difficile d’anticiper. Seul le radar peut aider quand les nuages amènent des grains actifs. La mer et le vent se calment progressivement, nous permettant de voir plusieurs fois au loin des souffles de baleines. Les conditions mollissantes rendent la vie à bord plus confortable mais mettent de plus en plus en péril une arrivée de jour le lendemain. Au final, je barrerai la majeure partie de la deuxième journée pour optimiser notre vitesse et nous finirons par arriver juste avant le coucher du soleil. Niuatoputapu est flanquée d’une île volcanique jeune très haute que l’on voit depuis le lever du soleil. C’est fou, dans ces conditions, comment les approches sont longues car on a l’impression de toujours voir la même chose pendant toute la journée. Nous aurons une belle touche d’un mahi-mahi juste avant d’arriver. Nous sommes dans une région volcanique très active des profondeurs de 8000 mètres et des pitons à moins de 40 mètres sous la surface de l’eau. Ces hauts fonds amène de la vie marine. Malheureusement, à quelques mètres du bateau, le poisson se décroche alors que le plus dur était fait. Grâce aux cartes satellite, je peux choisir les cartes marines qui placent correctement la passe (il faut savoir que certaines cartes marines sont décalées !) et nous entrons dans celle-ci sans encombre, dix minutes avant que le soleil ne se couche. La passe est large, complètement protégée de la houle du Sud et est bien indiquée. Au mouillage, nous retrouvons les « Saltimbanques des Flots »ou « SDF » que nous avions rencontrés à New York il y a 8 ans lorsque nous ramenions Kaya au Lac Champlain. Nous les avions recroisés à Tahiti récemment mais quand même, le monde est petit! Un autre bateau français est arrivé peu avant nous. Tous deux viennent de Niue et s’en sont enfui car le mouillage y est intenable par vent d’Ouest. Du coup, j’aurai un compagnon demain pour faire les formalités d’entrée aux Tonga.
Niuatoputapu (7 au 11 Août 2018)
Nous rangeons rapidement le bateau pour se mettre en configuration « mouillage »et célébrons notre arrivée avec une bonne bière fraîche (on ne boit jamais d’alcool pendant les navigations), Tout le monde est bien content de ne pas avoir à passer une nuit de plus en mer, si proche du but.
09
Le lendemain matin, alors que l’école des Korrigans ré-ouvre ses portes, je pars avec Gilles, notre autre voisin, faire les formalités. Patrick, de SDF nous a expliqué sommairement comment se rendre au bureau des douanes et immigration. Cela semble simple mais nous n’avons pas encore mis les pieds à terre. On se rend vite compte que nous sommes loin de tout ici, sur cette petite île qui a été partiellement ravagée en 2009 par un tsunami. À proximité du quai, toutes les maisons sont des maisons préfabriquées du même modèle, posées sur de petits pilotis. Par contre, elles sont toutes de couleur différente et l’ensemble n’est pas laid car la nature environnante est très belle. On y trouve en particulier des manguiers et des figuiers énormes et magnifiques, ici et là, le long de ce qui semble être la seule route (plus ou moins) bitumée. Nous galérons un peu à trouver et demandons à plusieurs reprises notre route. Premier constat : Peu de gens parlent anglais ou le comprennent correctement. On ira finalement trop loin, aboutissant dans un petit village où nous comprenons que les douanes sont à côté de l’école. On emboîte alors le pas à un groupe de fillettes en costume d’écolières. Nous nous pensons perdus lorsque le chemin devient un petit sentier dans la forêt, mais celui-ci aboutit rapidement à une grande aire déboisée au milieu de laquelle trône les bâtiments de l’école. La banque et les douanes sont deux petits préfabriqués à proximité. On ne s’attendait pas à ça! Aux douanes, l’employée semble passablement « fiu » et ne dit pas grand-chose ou en fait rien. Ne sachant pas si elle s’occupe de nous ou non, on va à la porte d’à côté, à la banque, pour changer de l’argent. Ils sont quand même 4 employés derrière des bureaux croulants sous des tonnes de bazar et des piles de papier. Le change se fait derrière un simulacre de guichet fait avec une planche de contreplaqué accrochée en hauteur et orné d’un autocollant Western Union. Après 5 bonnes minutes de recherche dans les piles de papier à portée de main, le guichetier se décide à prendre un nouveau bloc (il avait fait la même chose la veille avec Patrick !). Il remplit le bordereau et change mes dollars contre la monnaie locale qu’il sort d’un vieil attaché-case posé sur le bureau. Voilà le bureau de change! C’est bien dépaysant, finalement ce qu’on attend d’une île du Pacifique un peu éloignée et ce qui fait son charme. En retournant aux douanes, je comprends finalement que la douanière doit venir à bord avec le médecin. Nous partons donc à bord de sa petite voiture pleine de décorations sur le tableau de bord et de sainte-vierges en autocollants ou suspendues ici et là. Non loin du quai, nous attrapons le plantureux médecin (ou plutôt infirmier). Vu les gabarits bien polynésiens de nos deux fonctionnaires, les transbordements dans l’annexe sont un peu rock’n roll. Je me félicite encore d’avoir un bateau avec une jupe pour les embarquer. La tâche consiste uniquement à remplir des formulaires, sur la table du cockpit. Aucune visite du bateau n’est effectuée. C’est assez vite fait et cela fait un premier contact avec cette île et sa population qui semblent vraiment sympathiques. L’après-midi, nous allons découvrir le charmant motu situé non loin du mouillage. En y arrivant à marée haute, nous sommes surpris de voir la mer monter jusqu’aux buissons dans lesquels se cachent pleins de poissons. On profite aussi de l’occasion pour ramener quelques cocos avec lesquelles nous ferons du lait de coco ainsi que des copeaux de coco séchée que je fais ensuite mariner dans une huile aromatisée (ail, piment, poivre, etc.). Cela fait d’excellents amuse-bouches pour l’apéritif.
Pour terminer cette journée bien remplie, Patrick me propose d’aller à la chasse aux langoustes sur le platier, une fois la nuit venue et la marée basse. Comme je n’ai jamais eu de succès dans ce genre d’aventures et que je le sais expérimenté, j’accepte et nous partons une fois le souper avalé. Après quelques mésaventures à naviguer en annexe, de nuit, sans lune, dans le lagon truffé de hauts-fonds, nous parvenons finalement au motu où nous laissons l’annexe. Pendant les deux heures qui suivront, nous arpenterons le platier, à la recherche de paires d’yeux rouges. Alors que Patrick ramasse à un bon rythme une petite dizaine de petites cigales de mer et une langouste, je ne verrai que quelques paires d’yeux pendant la soirée et me trouverai incapable de me saisir asses rapidement de la bestiole. Au moins, ce soir, j’ai appris à les repérer et aussi à les attraper. Le retour vers les bateaux est aussi fastidieux que l’aller, nous butant sans cesse à de longs récifs de coraux, incapables de déterminer s’il s’agit du corail s’étendant à partir des berges de l’île ou s’il s’agit d’une extension du platier. Nous trouverons finalement notre chemin, après avoir longuement marché, tirant l’annexe au milieu de ce dédale de roches émergeant de nulle part. La suite de la soirée est une banale embuscade au cours de laquelle je me fis honteusement attaquer par du Genepi et de la Chartreuse maison. Aïe. Le temps d’ébouillanter les bestioles que Patrick m’a généreusement données, dans mon état d’ébriété avancé, je me coucherai quand même à 4h30 du matin!
Après un réveil difficile le jeudi matin, Gilles et moi repartons sur la même route, cette fois-ci, à la recherche de la poste pour y acheter une carte SIM locale et un forfait de données. Un peu plus orientés sur l’île, nous trouverons sans problèmes et je ferai alors connaissance de la très gentille Tiu, l’employée de l’opérateur telecom local. On discute un peu et je lui promets de repasser plus tard, surtout qu’elle me promet quelques petits citrons locaux dont nous raffolons. Cela sera bien apprécié car il n’y a rien à acheter dans les magasins de l’île à part quelques boîtes de conserve douteuses. Du coup, l’après-midi, je propose une petite visite de l’île à Daphné et aux filles qui ne se sont pas encore promenées sur l’île. À leur tour, elles découvrent les paysages ruraux de l’île et ses arbres majestueux, le « centre administratif »de l’île avec ses 3 préfabriqués plantés au milieu d’un champ et surtout, au grand bonheur d’Éléa, les cochons et leur multitude de marcassins qui se prélassent le long des chemins, sur la plage ou trottinent d’un côté à l’autre de la route. Nous passons par l’école où nous rencontrons quelques gamins, surexcités de voir des étrangers, nous lançant les quelques mots d’Anglais qu’ils connaissent avant d’éclater de rire. En continuant notre promenade, nous tombons sur un homme qui s’affaire à faire sécher des feuilles de pandanus dans son jardin. Comme celui-ci semble bien parler anglais, nous nous arrêtons et le questionnons sur le sujet. En effet, à proximité du mouillage, nous avons vu à plusieurs reprises des femmes amener à marée basse des brassées de végétaux qu’elles immergent dans la vase. On apprend qu’ils utilisent non seulement les feuilles du pandanus mais aussi l’écorce du « Fao », arbre local de la famille de l’hibiscus pour fabriquer ces fibres utilisées ensuite pour tisser. Selon le type de plante employée, les étapes sont différentes mais toujours nombreuses, avant d’obtenir de longues fibres blanchies et droites, prêtes à être tissés. La majorité est expédiée vers la capitale des Tonga puis vers la Nouvelle Zelande et l’Australie. Cette activité semble être la principale source de revenus extérieurs de l’île. Notre longue marche nous amène, judicieusement, en fin d’après-midi au bureau des Telecoms où travaille Tiu. Avec un peu de chance, elle nous proposera de nous ramener. Elle semble enchantée de nous voir, et comme de fait, nous propose de suite, de nous ramener. Au passage, nous allons chercher sa petite fille chez ses parents où nous cueillons aussi des citrons. Voyant notre intérêt pour son île, elle nous fait faire en voiture un beau tour de l’île, en passant par le nouveau village et hôpital, construits à la suite du Tsunami avec des fonds Européens, l’aérodrome, etc. Nous nous enfonçons ans la forêt pour aller jusqu’à des terrains appartenant à sa famille où nous cueillons aussi des goyaves avant d’aller se promener sur une magnifique plage au vent sur laquelle nous trouvons de nombreux coquillages. Nous terminerons la promenade en passant chez elle où elle coupe deux beaux régimes de bananes que nous ferons mûrir sur le bateau. Voyant l’intérêt de Daphné pour l’artisanat, elle nous montre aussi ses créations qu’elle fait en pandanus. Devant tant de gentillesse, nous l’invitons à bord le lendemain avec sa petite fille. Phoebe leur promet un gâteau au chocolat et des dessins animés pour la petite.
Les Photos
Vendredi, la météo du matin nous confirme que nous devons, hélas, déjà partir le lendemain matin. En effet, nous avons une brève fenêtre de vent favorable avant que celui-ci ne retourne au Sud-Ouest et nous empêche l’accès à l’archipel de Vava’u. La rencontre de la veille nous fait regretter un départ aussi rapide. Tiu nous a appris qu’il y avait ce matin un petit spectacle de l’école, avec des danses. Nous nous rendons à la salle communautaire où le spectacle doit avoir lieu. Quasiment toute l’île semble affluer vers cet endroit, dans un joyeux bazar plutôt bruyant. Les mamans s’affairent à maquiller les enfants, le show ne saurait tarder….Quelle n’est pas notre surprise lorsque, peu après que la musique ne commence et que les enfants commencent timidement à danser, lorsque tous les adultes se ruent sur scène en dansant et criant pour leur glisser des billets dans leur déguisement. Voici une sorte de collecte de fonds plus commune chez nous dans les boites de strip tease que dans les spectacles d’école! En tout cas, les costumes sont magnifiques et le tout bien divertissant !
La vidéo
Je me rends ensuite à nouveau aux douanes avec mes compagnons de mouillage pour faire notre sortie. Nous sommes rapidement pris en stop à l’aller par un prêtre, et au retour… par Tiu. Nous commençons à être connus sur l’île! En fin d’après-midi, après le travail, Tiu et sa petite fille viennent au quai où je vais la chercher pour l’amener à bord. Les filles offrent des vêtements trop petits et, surtout, une Barbie à la petite qui est trop heureuse et ne lâche plus son jouet. Tout le monde déguste du gâteau au chocolat pendant que Tiu multiplie les photos et selfies sur ses téléphones, postés instantanément sur Facebook! Pendant que les enfants regardent un dessin animé, Daphné et Tiu échangent de leurs créations et Daphné l’initie au macramé. Ce sont de beaux échanges et une belle rencontre qui nous font apprécier d’autant plus cette escale non prévue.
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